Ah, le grand air, quel délice ! Ne ressentez-vous pas ce doux parfum de liberté ? Je vous assure, même un homme civilisé tel que moi a ce besoin à l'occasion de se ressourcer en dehors des villes. C'est d'autant plus vrai après avoir été enfermés pendant quatre jours. Oui, cela semble peu, mais je ne tiens pas à me faire une maison d'une prison. Je vous laisse ça à vous, vous devez y être plus coutumiers.
Malheureusement, certaines saisons valent mieux que d'autres pour s'offrir ce grand bol d'air. N'en fait clairement pas partie l'hiver. À peine avons-nous quitté notre relatif abri, que voilà la bise qui nous recouvre de son froid glacial. Les sommets que l'on entraperçoit sur notre flanc droit ne nous couvre pas assez, et c'est bientôt Aector que j'entends grelotter. Il n'y a que notre nouvel acolyte pour n'en point souffrir, mais sa bedaine comme l'épaisse couche de vêtements qu'il porte suffiraient déjà à le réchauffer, s'il n'utilisait pas en plus son imposante barbe comme une écharpe.
– Ah, je suis sincèrement navré que nous ayons quitté si prestement la cité, nous balance-t-il après quelques minutes à nous entendre grommeler. Les gobelins n'auraient pas attaqué, je vous aurais offert de quoi passer cette étape sans trembler. On oublie parfois que les autres races n'ont pas la peau aussi dure que la nôtre.
– Ce... ce n'est rien, répondè-je d'une voix chevrotante. À com... combien de temps som... sommes-nous d'Aras...mée ?
– Je dirais bien quatre jours, peut-être plus. On emprunte rarement cette route. Nous préférons les tunnels. Ils nous épargnent autant le froid que les rencontres inopportunes.
– Qua... quatre jours ?!
– Oui-da, si nous ne nous arrêtons que pour dormir. Mais vous verrez, bientôt, vous ne ressentirez plus le froid.
– Nous ne ressentirons plus rien, intervient Aector, parvenant à empêcher sa voix de dérailler. Vous devez faire quelque-chose ou c'est à deux que vous atteindrez cette bourgade.
– Je comprends, mais je ne suis pas maître tisserand. Je n'ai pas les affaires qui vous préserveraient du froid. Maintenez l'allure, cela vous réchauffera.Je ne sais pas vous, mais j'ai comme une envie de me farcir un nain. Je suis pourtant incapable de me jeter sur lui. Quand bien même, le résultat n'y changerait rien et vous le savez pertinemment. Ah, ce que je vous envie ! Vous savourez cette histoire, ses fines anecdotes et ses plus grandes épopées, tout cela bien au chaud. Peut-être même emmitouflés sous la couette, un bon chocolat chaud dans le gosier. Et moi, quoi ? Je déambule dans ces contrées inhospitalières nimbées de neige, entouré de trois parfaits abrutis, dans l'unique dessein de vous divertir. Car c'est bien cela qui vous intéresse, hein ? Qu'importe que je perde mes doigts à écrire ce récit, que nous réussissions ou non à rejoindre Arasmée, ou plus encore que nous menions à bien notre quête. Tant que vous profitez d'une enrichissante et instructive lecture.
Mais que fais-je ici ? Pourquoi ne suis-je point resté à Origina, plutôt que de venir dépérir ici ? Ah, ce que j'ai froid... Il m'est très difficile de conserver cette plume entre mes os gelés. Bah, de toute façon, mon encrier est proche du néant. Perspicaces comme vous êtes, vous ne mesurez sans doute pas l'étendue de cette révélation. Je ne tiendrai bientôt plus mon journal et vous serez sans nouvelle. Voilà, c'est dit, et quel dommage ! Au fond, quelle importance ? J'ai le corps si transi que mes méninges refusent déjà de fonctionner...
– Yoruk, bon sang, ayez un peu de bon sens, entendè-je finalement. Ne voyez-vous pas ces pauvres hères qui se meurent lentement ?
– Et que voulez-vous que je fasse ? répond-il à Sir Allan.
– Sacrebleu, trouvez leur un refuge, une grotte, je ne sais quoi où ils pourraient regagner des couleurs. Ils sont pâles à faire rougir les flocons.
– Hm, suivez-moi, grommelle-t-il au bout du compte.L'instant qui suit, il quitte la route et s'enfonce dans l'epais tapis blanc qui la jouxte. Petit comme il est, c'est à peine si on le voit. Seul son couvre-chef dépasse, que l'on aperçoit creuser dans cet océan solide. Un sentier apparaît rapidement et, sans plus de réflexion, je m'y engouffre. C'est une tranchée opaline que mes compagnons et moi parcourons dès lors. Le froid y est plus mordant, chassant mes frêles sensations. Aux extrémités, mes doigts ne sont plus qu'extensions de mes bras, mes orteils semblent n'être plus là. Seule demeure cette fumée qui s'échappe de ma bouche à chaque respiration. Le reste n'existe plus, le reste a disparu, le reste...
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La Compagnie d'Aector
FantasíaJe vous salue tous humblement, vils voleurs, voyeurs et autres rebuts de notre royaume étêté. Je vous mets en garde, vous ne devriez pas lire ce journal, celui de votre illustre serviteur, j'ai nommé le grand Aëmys. L'avoir dérobé vous en coûtera la...