Les timides rayons du soleil lui caressaient doucement la peau de son visage, de ses jambes et de ses bras nus. L'humidité salée qui ornait son épiderme d'enfant s'évaporait avec lenteur sous la chaleur de cette agréable fin de soirée. Le temps était propice au bonheur, mais la jolie petite brune allongée au milieu des blés n'avait pas la tête à la joie. Elle avait à peine passé son sixième printemps qu'elle pensait déjà qu'elle ne souffrirait plus jamais autant. Elle ferma avec langueur ses yeux, sentant sa respiration se calmer ainsi que les fou battements de son cœur. Bientôt, les longues tiges lui chatouillant paisiblement les joues lui permirent de retrouver une sereinité apaisante. Elle était là, couchée dans ce champs, les larmes disparaissant peu à peu au grès du vent. Sa chevelure prenait une couleur rougeoyante grâce au soleil tandis que ses yeux se rouvraient pour tomber sur une vue idyllique : les pousses de blés s'élevaient gracieusement jusqu'à toucher les nuages tels des grattes-ciel et le soleil plongeait en face d'elle sous des arbres avoisinants, teintant le ciel de nuances magnifiques d'oranges et de rouges. Elle portait cette petite robe rose tyrien à légers froufrous avec ce gros nœuds papillon d'un rose un plus clair sur le ventre qui la rendait si mignonne d'habitude et qui lui descendait mi-jambes. Elle l'adorait, et se trouvait bien jolie dedans, d'ordinaire. Mais ce jour-là, le plus beau des vêtements ne pourrait lui ôter l'amertume et le goût âcre de la tristesse qui occupait son cœur. Devait-elle s'en prendre à la vie ou à la nature ? Cette première était tracée devant elle, et avait donc dans ses plans depuis bien longtemps la cause de son malheur. Cette dernière, la nature, s'était vue attribuée le pouvoir de créer comme de terminer l'existence de quiconque, et était donc la mère de la première. Malheureusement, en dépit de son trop jeune âge, elle ne pût faire un choix et, par conséquent, reporta toute la haine dont un bambin était capable de faire preuve, sur ces deux choses. Pourquoi maintenant ? Elle prenait à peine conscience du monde qui l'entourait, pouvait à peine concrétiser ses sentiments clairement que déjà on posait sur ses frêles épaules une peine bien trop lourde pour elle. Dans un égoïsme enfantin, elle se demanda bien évidemment pourquoi ce sort était tombé sur elle et pas sur quelqu'un d'autre. Pourquoi lui avait-on si brusquement arraché cette personne si chère à ses yeux ? Était-ce seulement concevable de vouloir autant de mal à une si petite fille de seulement six ans et demi ? Elle n'avait rien fait de mal, elle était encore douce, naïve et innocente. Certes, elle était bien capricieuse, mais c'était le cas de tous les enfants ; elle n'était pas mauvaise. D'ailleurs, le mal n'existait pas : il fallait se rendre à l'évidence, nous n'étions pas dans un conte de fées où les " gentils " avaient toujours le dessus et triompheraient à jamais sur les " méchants " mais bien dans la réalité. Là, il n'était pas question que, même lorsqu'une personne assassine volontairement une autre de ses propres mains, elle soit considérée comme mauvaise, méchante, hérétique ou encore comme un suppôt du Diable. Non, elle est simplement atteinte de troubles mentaux, ceux-ci se soignant comme n'importe quelle autre maladie touchant le corps. Et si l'univers machiavélique appartenant aux démons et autres divinités malfaisantes n'existait pas, il fallait qu'elle retourne sa haine et son écoeurement sur quelque chose d'autre. Dans son jeune âge, elle se mît à haïr tout ce qui l'entourait avec force, dégoût et amertume, sans aucune logique. Ce comportement était tout à fait rationnel, pourtant. Sa jeunesse dorée avait été souillée par la perte d'un être qui était si cher à ses yeux qui lui aurait été pardonnable d'enrager ainsi, c'était naturel. Naturel... Était-ce également naturel de lui retirer si tôt un membre de sa famille ? Était-ce juste ? Était-ce équitable ? Était-ce impartial ? En revoyant les traits de son frère qui disparaissaient déjà peu à peu de sa mémoire, les larmes rejaillirent de nouveau. " Mais pourquoi ? Pourquoi ? " Elle avait besoin d'une cause, d'un élément cohérent qui lui permettrait de mieux accepter ce décès. Il fallait que l'on lui explique, autrement, jamais elle ne pourrait s'endormir ce soir, ni aucune autre nuit. Mais elle savait d'ores et déjà que rien ne pouvait expliquer qu'il ne soit plus de ce monde. C'était tellement tôt, son frère était si jeune, il avait à peine seize ans. Le méritait-t-il ? Elle s'était demandée dans son égoïsme de petite fille si elle l'avait mérité. Mais elle ne s'était alors là pas demandée si lui le méritait. Elle sentait son cœur se gonfler douloureusement derrière ses côtes pour appuyer sur son réservoir à larmes et le faire déborder. Elle se laissait aller en humidifiant à nouveau sa peau douce d'enfant tandis que la réponse à sa question s'imposait à elle comme une évidence. Non. Bien sûr que non. Son frère était la douceur et la gentillesse incarnées. Il protégeait les gens qu'il aimait et ceux qu'il aimait moins. Il savait pardonner sans se faire marcher sur les pieds. Il avait de nombreux amis sur qui il pouvait compter et ceux-ci savaient également qu'ils pouvaient être soutenus par lui. Pas d'ennemis. Pas de gens suffisamment stupide, égoïste, ou encore jaloux pour éprouver la moindre rancœur envers lui. C'était une bonne personne, aucun doute possible.
Alors elle se surprit à se détester elle-même. De tout son cœur. Comme elle n'avait jamais haït. Pourquoi n'était ce pas elle qui s'était faite renversée par ce camion ? Pourquoi était-ce lui et pas elle ? Comment pouvait-on lui avoir fait un coup pareil ? Comment pouvait-on être aussi sadique ? Ce n'était pas possible. Il ne s'agissait que d'une blague stupide et cruellement dénudée de goût et d'humour. Il était vivant. Comment pourrait-il en être autrement ? Comment pouvait-elle continuer de vivre sans lui ? Il avait toujours été son pilier, son roc, cette épaule dévouée où elle déversait larmes, craintes, désillusions, peurs et peines. Elle se sentit comme piégée. Tombée dans une vulgaire trappe qui s'était ouverte juste sous ses pieds. Et elle s'enfonçait dans le néant sombre de sa douleur. Ce fut le déclic. Son petit poing poisseux se serra brusquement et s'abattit sur le sol meuble avec force. Elle eut mal, mais ce ne fut pas l'affliction qui lui fit pousser ce cri perçant, entremêlé de pleurs et de violents sanglots. Elle tremblait de tout son corps, tous ses membres étaient déchirées de tous les côtés, et elle se sentait secouée dans tout les sens, comme ballottée entre les mains de personnes qui se la renvoyait comme une simple bille. Elle poussa un nouveau cri perçant dans cette auparavant quiétude apaisante. Et, comme pour l'exaspérer un peu plus, tous se turent, la laissant seule et à la dérive. Ni les arbres au loin ni les pousses de blés ne remuaient plus : le vent s'était arrêté et ne semblait plus non plus vouloir l'apaiser encore. Elle pleurait, encore et encore, jusqu'à ce que ses yeux bouffis et rougis soient complément secs et ne voulurent plus rien laisser tomber. Bientôt, le plus parfait des silences s'installa et la fillette exprima le désir de s'endormir. Plus de larme, plus de sanglot, plus rien, à part cette douleur lancinante, fraîche et déstabilisante creusée au fond de son cœur et une fatigue grandissante. L'envie de s'endormir pour ne plus jamais se réveiller naquit en elle et elle s'y abandonna dans ce champs, sachant pertinemment qu'elle se réveillerait sous peu, et que la souffrance lui retomberai dessus immédiatement après. Elle avait laissé derrière elle deux parents, morts de chagrin pour leur défunt fils et d'inquiétude pour leur fille disparue. Le monde s'écroulait également pour eux, qui n'avaient jamais rien demandé d'autre que la paix.
Morts. De Douleur. De Malheur. Oui Morts. Elle les aura aussi emportés. Sans aucun scrupule pour une petite fille allongée dans les blés. Elle, pourtant, la Mort ne l'aura pas avant longtemps. Parce que la fillette aura souffert, mais elle aura compris, elle aura compris. La Mort, elle n'est pas bien. La Mort, il faut mieux l'éviter le plus longtemps possible, jusqu'à ce que l'on n'ait plus le choix, parce que la Mort, elle ne cause que troubles et peine, et elle ne s'arrête jamais. Dévastatrice. Affligeante. Horripilante. Les adjectifs sont nombreux mais le message est le même. Ne cédez jamais car quelqu'un tiendra toujours à vous, toujours, il pourra toujours vous promettre le contraire, mais vous avez cette certitude. Ne cédez jamais.
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Liens Ensanglantés [One Shot]
Short StoryConnaissez vous les liens sombres du sang qui unissent une personne à une autre ? Une famille est un bien précieux, que le destin vous arrache peu à peu et lorsqu'on se retrouve confronté à une de ces pertes, le monde s'écroule sauvagement sous vos...