Chapitre 15 ~ Sous un autre jour

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Une fine pellicule de glace commence à figer la boue dans laquelle je suis agenouillée. Je garde les lèvres pincées pour empêcher le froid mordant d'attaquer l'émail de mes dents. L'insensibilité massive avec laquelle je compose quotidiennement m'aide à conserver la position sans avoir à souffrir de crampes atroces, c'est un plus.

Delà où je me tiens, j'ai une vue imprenable sur la case principale, celle du chef. Le poney blanc broute paisiblement à l'entrée de l'habitation, confirmant la présence de son propriétaire.

De nombreux guerriers Pictes, reconnaissables à leur couvre-chef lupin, vont et viennent aux abords de la hutte, la mine morose. Je crois qu'il s'y déroule un conseil de guerre, ou ce qui s'en rapproche. C'est un peu le même topo dans ma tête. Je n'en ai pas l'air, mais je bous intérieurement, remontée comme un coucou contre un oiseau de malheur répondant au nom d'Evandro.

Le diable me fait languir jusqu'au déclin du jour. Lorsqu'il daigne enfin se montrer, grimé en leader Picte, son torse nu est couvert de runes si fraîches qu'elles luisent encore.

Je me plante devant lui sans avoir le souvenir de m'être levée. Ses prunelles vertes glissent sur moi. Elles ne sont jamais aussi saisissantes que quand il a la moitié supérieure du visage peinte en noir, comme présentement. Il s'arrête, comprenant que je suis un volcan sur le point de lui jouer un nouveau Pompéi.

Je frémis de la tête aux pieds et pose un doigt sur sa poitrine :

Toi, espèce de...

Zut, je ne maîtrise aucune insulte en barbare ! Vite, des noms d'animaux ! Chèvre ! Espèce de chèvre ? Non, porc ! C'est mieux, porc, mais ça ne colle pas avec ce que je veux exprimer.  Oh, je sais :

Chien !

J'accompagne mes paroles de coups répétés contre sa poitrine, faute de pouvoir atteindre son visage. Ses peintures de guerre bavent en travers de son torse, j'en ai bientôt plein les mains. Ce saccage me procure une joie malsaine. J'y mets toute ma rage, toutes mes forces. Il attend que j'aie déchargé une bonne partie de la haine qui m'anime avant de me retourner une gifle si virulente que je suis à deux doigts d'aller mordre la poussière.

Je reste sans voix, la paume appuyée contre ma joue lancinante. Vu la taille de ses mains, je peux m'estimer heureuse que ma tête ne se soit pas tout bonnement détachée de mes épaules.

Le regard d'Evandro est terrible. Il m'attrape par les cheveux et me pousse vers sa monture. Je trébuche. À bout de patience, le chef picte me soulève et me jette sur le destrier blanc. L'animal sursaute et essaie de me désarçonner d'un coup de reins, mais Evandro bondit derrière moi et le talonne derechef.

Le petit cheval démarre au quart de tour, battant le sol gelé sous ses sabots énergiques. Son dos est comparable au roulis d'une mer démontée. Les vibrations du galop enflent comme des vagues sous mes cuisses. Le vent qui siffle à mes oreilles est aussi fort qu'en plein océan, et les dunes que nous dévalons tout à coup me donnent le sentiment d'être un navire happé par la houle.

Elle m'apparaît enfin, cette plage immense dont j'ai si fréquemment perçu la mélodie, senti les effluves marins, et imaginé les contours...

Le guerrier pousse sa monture au bord de mer. Le poids de nos deux corps la met en peine, une écume blanchâtre se forme à la commissure de ses lèvres. Ses foulées deviennent inégales. Son cavalier consent alors à ralentir, puis remonter au sec.

D'importantes gerbes de sable constellent la robe du cheval de bataille et nos vêtements. J'essuie mes joues grêlées d'une main tremblante tandis qu'Evandro met pied à terre et m'offre ses bras. Je refuse son aide et me laisse glisser par mes propres moyens.

Qui es-tu ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant