Chapitre 2 - Sang impur

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J'avais imaginé ces retrouvailles un nombre de fois incalculable, sous différentes tournures, dans différentes situations, à tout âge. Souvent elles étaient heureuses, d'autres étaient plus tristes, et parfois meurtrières.

Quand j'étais plus jeune j'avais encore cette vision utopique que m'inculquait la société dans laquelle les pères sont les héros des petites filles, leur premier amoureux, celui qui aime tant sa fille qu'il sacrifierait sa vie pour elle.

Je pensais que les pères protégeaient toujours leurs enfants, alors je me rassurais en me disait que si « papa » était absent, et bien c'est qu'il me protégeait d'un terrible danger.

Alors je m'étais inventé cette histoire, que je racontais à mes camarades, dans laquelle mon « papa » était un agent secret comme dans les films et qu'il avait cette mission de la plus haute importance et que la survie du monde entier reposait sur ses épaules.

C'est comme ça que pendant mon enfance je l'idolâtrais, tout comme mes camarades, alors qu'en réalité mon géniteur croupit en prison pour meurtres.

Après, au moment de l'adolescence je comprenais plus de choses, je prenais conscience de la réalité. Les papas ne sont pas toujours gentils, les familles ne sont pas toujours parfaites.

Oui les papas aiment leurs filles, du moins c'est ce qu'ils prétendent. C'était le cas de ma meilleure amie au collège , c'est ce que disait son père « tu sais si papa il met sa main sous ta culotte c'est parce qu'il t'aime très très fort, et si tu aimes papa faut le laisser faire ».

Mais je refusais de croire que mon père était parti parce qu'il ne m'aimait pas, j'étais certaine qu'il allait revenir. Je pensais que son instinct paternel éveillerait en lui une inquiétude quand sa fille se faisait harceler et que tel un sauveur il viendrait à ma rescousse. Ou bien qu'il casserait la gueule à l'ordure qui m'a agressée.

Mais il n'est jamais venu, il devait penser que j'étais une fille forte, que je pouvais m'en sortir, je me rassurais comme je pouvais.

Au fil des années cet espoir s'évaporait. Quand je voyais que certains de mes amies avaient un père présent, une famille unie et des photos de famille exposées dans chaque coin de leurs maisons, je jalousais.

J'ai rêvé d'avoir un père aimant, protecteur, drôle et présent. Je n'ai rien eu de tout ça, tout ce que j'ai eu ce sont des questions, des doutes, de la souffrance et de la solitude.

Tous les traumatismes et l'insécurité que je vivais quotidiennement m'ont conduit à la colère. J'éprouvais de la haine envers chaque personne que je voyais, la douleur de l'abandon était si insurmontable que la rage prit le dessus.

Le temps où je cherchais des excuses pour justifier son absence était révolu, tous les scénarios où « mon papa adoré » me reviendrait n'avait plus de sens. Alors chaque retrouvailles heureuses que j'avais purement inventé de toutes pièces s'évaporèrent.

Non mon père ne viendra pas me sauver de mon violeur, non mon père ne viendra pas me féliciter pour l'obtention de mon bac, non mon père ne viendra pas nous aider quand on n'avait pas assez d'argent pour pouvoir se nourrir. Non mon père ne m'aime pas.

Cette obsession pour ce fantôme m'aveuglait sur le réel amour, je cherchais de l'attention partout, auprès de tout le monde et parfois auprès de mauvaises personnes.

Sans même réaliser que j'avais l'amour le plus pur, loyal et désintéressé à mes côtés. Je ne voyais même pas tous les efforts que faisait ma mère pour qu'on puisse s'en sortir, je ne voyais pas les sacrifices qu'elle faisait pour que mon assiette soit remplie. Je ne réalisais pas toute la dévotion et l'amour qu'elle m'a offert pour mon bien-être.

L'Héritière [ en pause ]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant