Le message

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Ça sonne... Allez, réponds...

_ Coco ? 

Yes ! 

_ Viiiiick ! Tu dormais ? 

Je pose la question mais c'est évident que c'était le cas : ses cheveux rouge vif sont tout ébouriffés, sa voix est rauque et ses paupières glissent sans cesse sur ses yeux verts. 

_ Bien évidemment ! Il est deux heures du matin ! 

Je lui fais mon plus beau sourire et bats des cils. 

_ Ici, il est tout juste huit heures ! En France, tu restais éveillé plus tard que ça...

_ Tu me gardais éveillé plus tard, nuance. C'est juste pour m'embêter ou t'as enfin trouvé un BlaBlaCar ? 

Je soupire. Bien sûr que non. Je suis trop exigeante : Bordeaux/Londres d'une seule traite, personne ne fait le même trajet que moi. Mais il faut que je loue une voiture de location là-bas pour aller rejoindre Vick à Cardiff, qui prendra un billet depuis Ottawa. Et là, on se fera notre voyage en voiture dans tout le Pays de Galles et l'Ecosse, rien que tous les deux, que l'on planifie depuis le collège ! ... Si je trouve un partenaire de voyage. Je n'ai pas envie de louer un véhicule ici, parce que le voyage serait trop long, je serais fatiguée et je me sentirais seule. 

_ Ni l'un ni l'autre... J'ai juste pas eu le temps de t'appeler hier soir et du coup je voulais savoir comment s'est passée ta journée...

_ Très bien, comme d'hab. Je kiffe Ottawa, mes potes et Zoey. 

Zoey. Zoey. Ma bouche s'étire comme si j'avais avalé un citron. Une semaine à peine après son arrivée au Canada, il s'était déjà trouvé une greluche. Et moi, alors ? Dès que votre meilleur ami se trouve casé, il n'a jamais plus de temps pour vous. Et puis je fais comment, pour savoir si elle est mauvaise ou non ? Si elle ne lui casse pas de sucre dans le dos ? Si elle le trompe ? 

_ Colombe, si tu fais cette tête dès que je parle de ma copine, je raccroche et je te rappelle plus jamais. 

_ Nooon, ok j'ai lancé Skype pour t'embêter, pardon, mais tu peux pas me faire ça ! Pas à ta Coco... Ok, j'arrête. Tu vois, je souris maintenant. 

Il se passe la main dans ses cheveux. Il me cède tout. Il me pardonne tout. C'est ça, la faiblesse des hommes. Niark. 

_ Je suis quand même hyper fatigué... Allez, bisous. 

Je n'ai pas le temps de réagir qu'il raccroche déjà. Humf. Je ferme le clapet de mon ordi rageusement, et je me jette sur mon lit, fourrant un pancake dans ma bouche. Je n'ai pas le droit de manger dans ma  chambre, mais primo, je suis majeure, je fais ce que je veux, et deuzio, c'est moi que les ai faits, donc j'ai le droit d'en profiter. De toute manière, je fais le ménage ici. Et quand je suis frustrée, j'ai faim.

Après avoir mangé toute l'assiette, je regarde l'heure. Huit heures quatorze. C'est pas vrai... Je rouvre mon ordi et lance une vidéo sur YouTube. 

Puis une autre. 

Puis encore une autre. 

... 

J'ai perdu le compte. 

Bon. 

Neuf heures trente huit. C'est long. Je n'ai rien à faire de mes journées parce que mes copines ne sont pas en vacances en même temps que moi, ou alors elles ont leur boulot d'été. Neuf heures quarante. Ça y est j'en ai marre. J'allume mon enceinte. Elle se met à hurler du heavy metal celtique. Ah, c'est déjà mieux. Je sors mon dissolvant et nettoie mes ongles bleu marine. Aujourd'hui, ce sera vert. Ou  noir. Ou blanc. Ou rien, c'est joli le naturel. 

_ COLOMBE !!!

Ma mère entre en trombe dans ma chambre, en peignoir. Je la regarde d'un air désinvolte. Désolée, maman, mais la musique c'est vital. 

_ Non mais tu as vu l'heure ? J'ai horreur que tu balance ton rock dès le matin et tu le sais très bien ! 

Oui. Mais c'est pas du rock d'abord. 

Voyant que je ne réponds pas, elle me jette un regard furibond et descend lourdement les escaliers. Je continue ma manucure en fredonnant le solo de cornemuse. Oui, ce sera blanc. 

Ma mère me crie quelque chose d'en bas mais je n'entends rien. Bon ok... J'éteins et je descends. De toute façon, j'ai encore faim. 

_ Tu as reçu un message BlaBlaCar. Ne me reproche rien, tu as laissé ton téléphone en bas. 

Quoi ? ... Quoi ?  En mettant l'annonce, je ne pensais pas que quelqu'un allait réellement faire le voyage avec moi. Mais non, Olivier Derlo accepte de faire Bordeaux/Londres avec moi dans quatre jours. Oubliant ma rancune, je saute de joie et saute au cou de ma mère. Toute frénétique, j'envoie un SMS à Vick de dix mètres de long dont neuf ne contenant que des points d'exclamation et des émojis. 

Cardiff, nous voilà ! 

Ne regarde pas la routeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant