Grapus Carapus

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C'est ce jour-là que tout a commencé, ce jour là où, j'ai sans doute fait l'une des pires erreurs de ma vie.

Je me suis réveillé aux aurores, sous les rayons du soleil qui baignaient ma chambre d'une douce lueur. Je me suis préparé rapidement afin de partir sur les routes le plus rapidement possible. Je suis parti vendre une partie de ma marchandise à un marchand au port de Narbonne. J'ai pris le reste de la miche de pain de la veille et vérifié que les quinze tonneaux que je devais vendre étaient bien dans mon char bâché et partis en direction d'Eliberre. La première partie de cette étape s'était plutôt bien déroulée, j'avais pu observer le lever du soleil et profiter de la chaleur de ses rayons en ce matin de mars.

Pour le déjeuner j'avais pris un simple pain aux graines que mon frère, qui est boulanger, m'avait donné en prévision de ce long voyage. En revanche, durant l'après-midi, j'ai croisé de nombreux messagers qui manquèrent, pour certains, de me percuter, moi et ma cargaison. Je suis arrivé à Eliberrer en début de soirée, et me suis directement dirigé vers la maison d'un vieil ami que je n'avais pas vu depuis plusieurs années, mais qui avait accepté de bonté de cœur de me fournir le gîte et le couvert pour la nuit. Arrivé chez lui, il m'a accueilli chaleureusement et m'a proposé du foin pour mes mulets éreintés par la journée. Nous avons pris un bon dîner tout en discutant du bon vieux temps jusqu'au bout de la nuit.

Le matin arriva bien vite et aussitôt que mon hôte mût salué, je fus sur la route direction Casinomago. Pour cette étape ci je n'ai rien à raconter pour la simple et bonne raison qu'il ne s'est rien passé de réellement intéressant. Il eut seulement les bornes m'indiquant que ma destination était plus proche d'un mille. Ce fut similaire sur la route jusqu'à Toulouse. J'ai pu découvrir l'incroyable architecture de cette ville, aussi magnifique que atypique. Je n'eu aucun problème dans les auberges dans lesquelles j'ai passé ces deux dernières nuits.

C'est à ce moment-là que mon voyage prit une tout autre tournure. Sur la route vers Badera, qui paraissait pourtant sûre, des brigands me firent une embuscade. Je suis parvenu à les convaincre de me laisser repartir à la seule condition de leur laisser trois tonneaux de vins. Je fus bien obligé si je voulais finir ce voyage en un seul morceau. À Badera, faute d'avoir trouvé une auberge incomplète, je n'eus que d'autre choix que de dormir dans une clairière que j'avais aperçu plus tôt. Ce fut une erreur. Durant les quelques heures où j'ai pu fermer l'œil, un de mes mulets fut tué, et deux de mes tonneaux volés. Je crus d'abord à de la malchance couplée à d'affreuses coïncidences mais, à l'heure actuelle, mon avis penche plutôt sur une punition divine. Je n'avais pas l'argent d'acheter un autre mulet alors, je vendis deux des tonneaux qui me restaient afin que la bête restante puisse tirer ma cargaison à elle seule.

Je suis arrivé tant bien que mal à Eburomagi à la tombée de la nuit, épuisé, mon corps réclament ardemment de la nourriture. Je suis allé à l'auberge la plus proche que j'ai pu trouver, n'ayant cure de mon instinct me criant de ne pas aller dans cet endroit. J'ai donné mon char au jeune garçon s'occupant des attelages de clients et suis entré à l'intérieur de l'auberge. À l'intérieur régnait une ambiance lugubre, les clients présents me dévisageaient, mais je pris cela comme de la simple méfiance envers un nouvel arrivant. J'ai commandé de la nourriture et dire que je l'ai simplement mangé serait mentir. Puis, à peine me suis-je allongé sur le lit de la chambre que j'ai sombré dans un sommeil sans rêves.

Je me suis réveillé sous des coups tapés à ma porte. J'allai ouvrir encore endormi et sans avoir le temps de comprendre ce qu'il se passait, que je fus jeté dehors et contraint de payer 2 as pour la nuit. Je n'ai même pas protesté et suis parti sans tarder car il se faisait déjà tard et que Carcassione n'était pas tout proche. Il n'y avait rien à signaler, quand il se mit soudain à pleuvoir, alors qu'aucun nuage n' assombrissait le ciel dix minutes auparavant. Je me suis tout de même décidé à poursuivre ma route en espérant qu'il s'agissait simplement d'une averse de début de printemps. Mais, passé midi la pluie n'avait pas faibli et s'était même mise à tomber plus ardemment. À présent je ne voyais plus à quinze mètres. La route, mal entretenue, laissait la pluie s'installer sur les pavés abîmés par le temps et l'érosion. Mon mulet peinait à avancer sur le sol rempli d'eau et de boue. Je l'ai encouragé du mieux que j'ai pu, ne pouvant rien faire d'autre car, la ville était trop loin et que vers Carcassione, la route serait sûrement en meilleur état. Je vis au loin un hôtel de poste avec deux courriers discutant avec le gérant. J'ai résisté tant bien que mal à leur demander un abri, le peu d'amour propre qu'il me restait me empêchait. Au loin, Carcassione était là. Je n'avais jamais été aussi heureux de voir une ville.

J'ai rapidement trouvé une auberge, qui contrastait fortement à la précédente. Je pus y passer une nuit reposante sans incidents pour la première fois depuis plusieurs jours. Ce répit m'a fait le plus grand bien, et j'ai pu partir en pleine forme vers mon avant dernière étape, le sourire aux lèvres, mes soucis des jours précédents derrière moi. Ce jour-là, je me suis même mis à chantonner, ce qui ne m'était jamais arrivé auparavant. Que ce soit de Carcassione à Liviana, où jusque Usverva, mon voyage fut aussi agréable qu'il est possible. Il faisait beau et bon, les routes étaient parfaitement entretenues, les gens courtois et les repas délicieux. Tout était rentré dans l'ordre et ce ne fut que plaisir malgré la fatigue qui me gagnait peu à peu.

Narbone n'était plus qu'à huit milles, et tout allait pour le mieux. La température avait baissé mais était loin d'être insupportable. Les prémisses du printemps étaient là. On pouvait de nouveau entendre le chant de quelques oiseaux, des bourgeons commençaient à se former. Les animaux sortaient de leur hibernation, et j'ai pu voir quelques écureuils. Rien ne laissait entendre qu'un drame allait se produire, pour moi tout du moins.

Ma destination finale se rapprochait doucement, je pouvais presque sentir la brise iodée. Je me réjouissait déjà du profit que j'allais faire, moi qui me faisait toujours avoir par de vils arnaqueurs. Sur mon petit nuage, je n'ai pas vu cet homme, portant une longue cape, posté au milieu de la route. De bonne humeur, je lui ai demandé le plus gentiment possible—et les dieux savent que ce n'est pas mon fort– de me laisser passer afin que je puisse continuer ma route. Pas inquiet le moins du monde, je n'ai pas eu le temps de réagir lorsque ce même homme, sortit une lame de sa ceinture. Sans avoir pu comprendre ce qu'il venait de m'arriver, je rampais sur le sol, couvert du sang de mon mulet et du mien, puisant dans mes ressources pour arriver jusqu'à la ville. Ma vue se brouillait de plus en plus, ma blessure à l'épaule me faisant atrocement souffrir. Je savais que j'allais m'évanouir, mais je ne pouvais m'y résoudre. Je devait continuer, sinon on me traiterait encore de faible, je devais le faire pour prouver à tout le monde que je ne suis pas un incapable. Mes forces m'ont abandonné, peu à peu, le froid et m'a envahi. Je pensais alors que tout était fini, que j'allais mourir là, sur la route. Qu'on allait sûrement me retrouver au matin, à moitié dévoré par des animaux. C'est sur ces pensées que j'ai alors vu une silhouette s'approcher. Je n'ai pas eu le temps de voir son visage que je sombrais dans l'inconscience.

Je me suis réveillé trois jours plus tard, dans une maison chaleureuse. Il y avait de la nourriture à mon chevet. J'ai appris plus tard qu'un petit garçon m'avait trouvé et avait alerté ses parents, riches mais bons. Ils ne m'ont rien demandé en échange des soins qu'ils m'avaient prodigués, ou de la nourriture qu'ils m'ont généreusement offerte. Aujourd'hui je ne garde que quelques séquelles de ma blessure à l'épaule mais impossible pour moi de voyager à nouveau sur les routes. Je produit toujours mon vin, mais à présent je préfère le vendre dans les villes alentour. Je fais beaucoup de cauchemars depuis ce jour-là, et cette horrible nuit les hante tous.

RédactionsOù les histoires vivent. Découvrez maintenant