ἀτελής

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= Imparfait, insuffisant.

Bonne lecture !

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Levant la tête depuis les arènes, il regardait le paysage imposant qui s'offrait devant lui. Et lorsqu'il vit les Chevaliers descendre les dernières marches qui menaient vers eux, Sorrento se mit à sourire. Ils étaient en mission diplomatique, après tout. Une mission qu'il ne se serait jamais cru faire, quelques années auparavant, lorsqu'ils avaient tout perdu dans cette rude bataille. Amis y compris.
Mais il y eut la Paix, et les combattants furent ressuscités. Quelle joie avait-il eu, de revoir tous ses coéquipiers ! Tous ces Généraux qui ont donné leur vie pour leur Seigneur. Tous ces hommes qu'il avait cotoyé pendant des années. Toutes ces âmes qui lui ont donné tant de souvenirs, et tant de bonheur.
Qu'il en avait été heureux ! Qu'il en avait pleuré de joie ! C'était un rêve éveillé, lorsque tour à tour, le marina voyait ses amis ouvrir à nouveau les yeux sur leur monde sous-marins. Pourtant...

Il ne put retenir un regard en biais vers une certaine personne. Un certain Chevalier. Un certain Gémeau, qui discutait joyeusement avec un de ses compagnons d'Or.
Cela était puéril ; il le savait. Mais il ne pouvait s'empêcher d'avoir un pincement au cœur en les voyant. En le voyant. Non pas qu'il soit jaloux, loin de là ! Il ne voulait pas avoir de tels sentiments alors même que le paradis avait été amené sur Terre. Mais il n'arrivait pas à faire autrement.
Il se souvenait de ses amis, oui, qui étaient encore à ses côtés. Et il se souvenait de cet homme. Celui qui l'avait éduqué, lui, ainsi que ses compagnons. Qui lui avait appris l'art du combat, et de la réflexion. Celui qui l'avait écouté, que ce soit le son de sa flûte, ou même ses craintes de jeune enfant. Qui l'avait aidé, proposé des idées pour s'améliorer, et qui l'avait rassuré. Il se souvenait de cet homme, qui était là pour chacun d'entre eux, à n'importe quel instant, pour n'importe quelle raison.
Mais il se souvenait aussi de l'autre face de cet homme ; celle aveuglée par la puissance, la vengeance, la grandeur. Celle qui le poussa à commettre l'irréparable, et qui provoqua leur chute à tous.

Pourtant, ce n'était pas la rancune qui ravageait le cœur de la Sirène. Autrefois, oui, cela avait été le cas. Il ne pouvait pas pardonner à celui qui lui avait tout ôté, jusqu'à son Seigneur, n'en laissant qu'un réceptacle. Mais avec cette Paix, il s'était promis d'avancer et d'éviter ces émotions dictées par la colère. Et Kanon l'avait encore une fois aidé : avant même qu'il soit question de diplomatie entre les différents Dieux, il s'était rendu au royaume des Mers, seul, et sans protection. S'était agenouillé devant tous, exprimant ses regrets et demandant leur pardon, tout en sachant qu'il serait dur à obtenir. Leur affirmant que malgré cette trahison, il n'avait jamais feinté avec eux. Qu'il avait été sincère avec ses sentiments. Qu'il avait réellement aimé être en leur compagnie, qu'il espérait pouvoir retrouver un jour.
Cela les avait tous grandement déstabilisés. Mais après de longues discussions, des larmes et des cris, ils comprirent tous ce que leur ancien dragon des mers étaient venus leur dire. Il les aimait. Il aimait leurs amitiés, et souhaitait la poursuivre malgré tout. Il aimait chaque personne présente, différemment, mais à la même intensité. Et après toutes les réflexions du monde, Sorrento avait été obligé de l'admettre : lui aussi, il l'aimait. En amitié, évidemment. Et il souhaitait retrouver cette relation, celle qui l'avait tant sauvée à l'époque. Alors, il avait pardonné. Et fait une croix sur sa rancœur.

Mais alors qu'il s'était juré de ne plus ressentir de telles émotions, il sentait son cœur se serrer à la vue du désormais Chevalier des Gémeaux. Ils avaient été amis, oui. Ils avaient réglé leurs différents, également. Mais alors que le Marina avait pensé que tout redeviendrait comme avant... Il avait appris la nouvelle. Il était désormais Chevalier des Gémeaux, au même titre que son frère aîné. Il en avait été attristé, mais n'en avait rien dit. Après tout, ils pourraient bien continuer à se voir, même sans qu'il soit Général.
Malheureusement... Plus le temps passait, et plus la Sirène était obligée de l'admettre. Ils étaient amis, oui. Ils l'avaient été à une époque, et le sont du moins encore aujourd'hui. Mais en posant ses yeux sur ces Chevaliers, il ne pouvait s'empêcher de se le demander. ‹‹ Pourquoi ? ››. Eux aussi, sous les océans, savaient rigoler ! Savaient parler, savaient réfléchir. Eux aussi, pouvaient lui offrir un haut grade, et une vie confortable ! Alors... Pourquoi ? Pourquoi était-il parti, pourquoi n'était-il pas revenu, pourquoi semblait-il plus heureux dans ce Sanctuaire qu'avec eux ?

Il connaissait la réponse. Il la connaissait.

Parce qu'ils ne pouvaient pas lui offrir ce qu'il lui fallait. Ils ne pouvaient pas lui offrir de frère jumeau. Ni d'amitiés comme il en avait ici. Et après tout, de quel droit pouvait-il se plaindre ? S'il avait décidé de protéger sa Déesse, au lieu de leur Dieu, cela ne le regardait que lui. Et en tant qu'ami, il se devait de respecter ce choix. Et de l'encourager. Car c'était son devoir d'amitié. Mais malgré tous ses efforts pour contrôler ses émotions, il ne pouvait arrêter cette tristesse. Ces pincements au cœur. Et ces quelques moments de colère qui le prenaient parfois.

Il aurait aimé lui offrir ce dont il avait besoin. Ce qu'il lui fallait. Il aurait aimé continuer à vivre sous les Océans, avec lui, avec les autres, heureux comme ils l'étaient auparavant. Mais cela était impossible. Car il avait choisi. Et Sorrento ne pouvait que maudire ses émotions, se maudire soit même de ne pas pouvoir être ce qu'il y a de mieux pour l'homme qu'il souhaitait retrouver. Car s'ils avaient été suffisants, s'ils avaient été assez, s'ils avaient été mieux... Il serait resté, non ? S'ils avaient pu lui offrir tout ça, il serait encore sous l'eau, avec eux. S'ils avaient été assez bons. S'ils avaient été meilleurs...

La Sirène soupira, et reprit son sourire. Il était en mission diplomatique, après tout. Ce n'était pas envisageable de montrer une telle expression face à une déité, d'autant plus qu'elle a œuvré pour leur bien à tous.
On aurait pu croire qu'avec cette Paix, tous repartaient sur un pied d'égalité. Mais cela était faux. Eux, avaient tout perdu. Tout. Et lorsqu'ils sont revenus, on leur avait ôté une dernière chose. On leur avait enlevé un Général ; et plus encore, un ami, un modèle, qui loin d'être satisfait ici, avait décidé de partir vers un nouveau Domaine, un nouveau lieu, de nouvelles personnes meilleures, bien meilleures qu'eux. Et Sorrento était obligé d'accepter le fait qu'il ne pourra jamais offrir à cet homme ce dont il avait réellement besoin. Qu'il ne pourra jamais être suffisant. Assez bon. Meilleur.

OS- MangaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant