Chapitre 1 : Tout ruiner par amour

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   Soïli se précipita hors du parc, chassa la barrière grinçante d'un coup de main et fonça vers le deuxième immeuble qu'il connaissait le mieux. Il marchait d'abord rapidement ; mais, plus l'angoisse d'un sale pré-sentiment lui prenait aux tripes, et plus ses pas s'allongeaient pour bientôt se transformer en course. Il enjambait les escaliers deux à deux, si ce n'était pas trois, soufflant à peine entre chaque effort, et ignorant toute trace de fatigue qui aurait dû l'affaiblir après un sommeil si inconfortable.

Et lorsqu'il atteignît le sixième étage, ses pieds s'agitèrent encore plus vite jusqu'à s'arrêter devant une porte commune à tous les résidents de cet immeuble, et pourtant chargée de tant de significations pour lui. Là, il sonna, tambourina et cogna le bois afin que l'on lui ouvrît.

Lui qui se persuadait tant de ne posséder aucune volonté de se débattre, se trouvait là, à violenter ce corps dont il s'occupait tant, à laisser son cœur se bourrer d'optimisme et à s'enfermer dans une irrationalité si éloignée de sa philosophie presque stoïque.

"L'espoir fait vivre" dit-on. Eh bien voyez comme il peut être ravageur.

Perdant patience face au seul bruit saccadé de sa respiration affolée, Soïli se jeta sur la porte. Une fois, deux fois, et à la troisième, l'entrée cédait sous son poids. Entraîné par la vitesse de son propre élan, il manqua de tomber à plat ventre sur la planche de bois mais parvint à se rattraper de justesse. Lorsque ses yeux rencontrèrent l'état de l'appartement de son ami, ses forces le quittèrent en un son lourd et raisonnant de genoux heurtant un plancher usé.

Vide. Pensa-t-il.

Des meubles, de la télé et même des posters, il ne restait plus rien. Il voulait pleurer, gueuler sans retenu et détruire chaque mur restant de la pièce à coup de poing qui briseraient ses phalanges, mais son âme déjà abîmée ne pût sortir une larme, et ses peines passées lui avait déjà enseigné que se détruire par frustration ne menait à rien.

Il souffrait juste atrocement et insupportablement.

Alors il permit à son corps de devenir complètement faible. Son front se pressait sur ses cuisses encore congestionnées par ses efforts, ses doigts s'imiscaient dans ses longs cheveux bouclés sauvagement et ses yeux se fermaient lentement en même temps qu'un soupir contrôlé s'étirait faiblement entre ses lèvres.

Qu'il y a-t-il de pire que de se réveiller d'un cauchemar pour finir par le revivre la nuit d'après ? Que ce cauchemar ne soit rien d'autre qu'un moment réel d'une vie qui se répète sans cesse. Le problème de ces épreuves n'est pas tellement leur cruauté, c'est qu'il n'existe pas de réveil possible, seulement deux options : céder ou se relever.

Lorsqu'il fut calmé, Soïli retira ses chaussures car Shun détestait qu'il marchât avec chez lui, et se remit sur pied. Il fit le tour du logement, à la recherche d'un indice de ce qui avait pu se passer.

La veille, il était supposé retrouver Shun dans leur parc habituel — celui où ils s'étaient rencontré pour la première fois  — pour faire ce que le plus âgé appelait des "manifestations de la déchéance de l'homme".

Parfois, ils s'amusaient à briser des fenêtres à coup de pierre, d'autres fois, lorsqu'il leur restait bien trop d'énergie, ils faisaient la course sur les toits en dalles des maisons typiquement erses, dans les quartiers résidentiels voisins, ou bien quand les fins de mois n'étaient pas satisfaisantes, ils se servaient dans la supérette dite "des riches" sans s'inquiéter du montant de leurs articles étant donné qu'ils n'avaient pas le soucis de passer en caisse.

Mais Shun n'était pas venu ce soir-là, lui qui pouvait se mettre sur ses rotules pour supplier le jeune homme de sortir une fois de plus, lui qui disait que ces sorties étaient sa raison de vivre. Soïli l'avait attendu sur la balançoire jusqu'à s'endormir et quand, au petit matin, il s'était réveillé pour constater son absence, il lui avait suffit de moins d'une seconde pour comprendre que quelque chose d'anormal lui était arrivé.

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