Loïc : Mauvais signe

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Les gémeaux ne savent pas prendre de décision. Ma mère répète tout le temps que résumer la personnalité de quelqu'un à son signe est aussi efficace que d'analyser sa santé par son groupe sanguin... mais le peu que je sais de l'astrologie me confirme ce détail : je ne sais pas prendre de décision.

La sonnerie me contraint à m'éloigner du tableau. Je me rends en cours d'histoire, mais mon esprit y reste mieux accroché que les punaises plantées au coins des feuilles. Choisir... pourquoi Juliette me donnait cette responsabilité ? Je n'avais pas à lui imposer mes goûts ! Enfin... il ne restait déjà plus grand-chose. Après tout, si je n'avais pas signé pour elle, ma meilleure amie risquait de se retrouver dans le club de course à pied. Pas que ce sport ne mérite pas d'attention... mais je l'imagine mal patauger dans la gadoue par des températures négatives – surtout si je ne l'accompagne pas. Notre amité vaut plus qu'un relais quatre fois cent mètres.

Pas d'escrime cette année. L'administration a décidé de supprimer le cours par manque d'élèves l'année passée, et de le remplacer par des cours bimensuels de Yoga. On peut dire que les Etourneaux gâtent leurs élèves : rares sont les établissements qui peuvent se vanter de proposer à la fois du kayak, un atelier journalisme et du tricot solidaire. Il existait trois stratégies pour s'orienter parmi ce florilège de possibilités : la passion, la non-envie de s'investir dans une activité chronophage et énergivore, et l'espoir de passer un bon moment entre amis.

Sans Meryem, je n'aurais jamais pu trouver une activité compatible avec nos deux emplois du temps. Bien entendu, je connais Juliette : elle va râler. Rien ne compte plus pour elle que l'escrime. Cette fois, le problème ne vient pas de moi, et même si je le voudrais – ce qui n'est pas le cas – je ne peux rien y faire. En ce moment, elle doit sans doute rêver éveillée à notre prochain duel à l'épée.

Mais notre activité lui plairait, c'était certain.

Le cours de sciences succède à celui d'histoire. Je finis par me persuader qu'après tout, on pourrait bien s'amuser. L'idée me plaisait sur le moment... et on dit que la première intuition est toujours la meilleure.

Entre les deux étages, je sors mon téléphone et tente de lui écrire un message par-dessous ma veste. Un râle dans mon dos me fait sursauter : le surveillant intercepte un mâchouilleur de chewing-gum. J'abandonne aussitôt ma tentative. Braver les interdits... ça ne me ressemble pas. Je préfère garder la surprise plutôt que de retrouver mon téléphone chez la proviseure. Oui, maintenant l'idée me fait sourire à nouveau, et j'ai hâte de lui en parler. Et si elle râle vraiment, dans le pire des cas, elle pourrait toujours essayer d'échanger avec les autres élèves...

Je suis tenté de retourner au tableau des enseignements transversaux, mais Tobias déboule derrière moi et m'attrape par le coude.

— Bah, Loïc ! T'es perdu ?

Et me voilà reparti pour une, non, trois heures de traveaux dirigés. Ce qui signifie qu'en plus de subir l'odeur insoutenable du désinfectant des laboratoires, les littéraires B ne disposent pas de la pause de l'après-midi. Pourquoi ces professeurs s'entêtent-ils à faire donner des cours d'une heure trente ? Morale : je n'écoute rien de notre Introduction à la représentation visuelle, du fonctionnement de l'œil à la perception chimique. Je recopie mécaniquement le titre et les premières définitions de l'année, me trompe deux fois dans la légende de notre premier schéma, casse la mine de mon crayon en essayant de la tailler, froisse le papier avec la gomme et, pour couronner le tout, renverse ma trousse par terre.

Coude sur la table, Tobias observe mes mésaventures avec un rictus moqueur. Il arrête de jeter des bouts de gomme dans l'évier qui nous sépare et me regarde glisser entre le tabouret et la paillasse.

Juliette Juliette(s)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant