Partie 1

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Les couloirs du vaisseau sont déserts.

Mes pas résonnent contre la tôle immaculée et la lumière artificielle des néons me grignote la rétine. A l'extérieur, le vrombissement hypnotique de l'espace.

J'ai la tête comme du coton et un affreux goût métallique dans la bouche. Mon spectre déambule, sans but.

Mon itinéraire hasardeux me mène jusqu'à la fresque stellaire de l'infini indifférent de notre univers. Plonger mon regard dans ses abysses sombres a quelque chose à la fois d'apaisant et de vertigineux. Je replie contre moi mes bras couverts de chair de poule. Dehors, les étoiles brillent, lumineuses et multiples, et je les admire piégée derrière ma vitre, seule et éteinte.

Mon ventre grogne. La faim me dévore l'estomac. Heureusement pour moi, dans un espace nébuleux de ma mémoire, je me rappelle être dans l'aile Ouest, non loin du réfectoire.

Dans la réserve, je déniche un carton entier de berlingots. Jamais ces crèmes nutritives sous vide aux parfums chimiques et sucrées aux édulcorants ne m'ont autant fait saliver. J'ai l'embarras du choix face aux nombreuses saveurs dont il ne nous reste plus que le goût synthétique, reproduit en laboratoire par nostalgie d'une époque lointaine où la Terre n'était pas qu'un rocher aride, dépouillé et irrespirable. Mon choix se porte sur le cake au citron. La dernière fois que j'ai mangé une vraie pâtisserie doit remonter à un peu moins d'un an, alors que mes parents m'ont contraint de célébrer avec eux le centenaire de la Confédération. Mais mon apathie avait affadi le repas ce jour-là. Peut-être que si j'avais su que c'était la dernière fois que j'aurais l'occasion de déguster de tels mets, j'aurais fait un peu plus d'effort pour en apprécier la saveur.

« Oh bah ça alors !

Tout mon corps sursaute violemment. Alors que je me retourne vers l'exclamation étonnée, j'échappe le berlingot que j'étais en train de siroter. Il s'écrase mollement au sol, répandant à sa suite une voie lactée jaune poussin sur le sol d'un blanc impeccable. Mon cœur bat à m'en faire mal.

Face à moi, un jeune homme à la peau sombre me dévisage avec stupeur et fascination. Des boucles de jais. Un regard doux et doré comme l'aube. De longs cils. Un sourire aussi lumineux que le zénith. Sa vision solaire est presque insoutenable pour mes yeux voilés d'une mélancolie terne.

Le badge sur sa combinaison m'indique qu'il est élève navigateur.

Je prends soudain conscience de ma propre tenue et croise les bras en rougissant. Je suis en sous-vêtements et ne porte qu'un long caleçon blanc et un débardeur de la même couleur où est brodé mon matricule.

— Ohlala, j'ai cru que j'allais péter un plomb tout seul dans ce vaisseau, soupire l'étudiant. Si tu savais comme je suis content de t'avoir trouvé !

Il s'avance vers moi sans tenir compte de ma gêne. Il pétille de joie.

— Moi c'est Orion. Et toi ?

Orion. Un nom de constellation pour un soleil.

Il me tend sa main. Je la jauge un instant avant de me décider à la lui serrer mollement.

— Soraya.

Sortir ce simple mot m'a épuisée. Il me semble que cela fait une éternité que je n'ai prononcé un son.

Le garçon hoche simplement la tête, comme s'il avait besoin de temps pour absorber tout ce qui pourrait bien se cacher derrière mon prénom, puis m'invite à le suivre.

Un torchon rempli de berlingots jeté désinvoltement en baluchon sur son épaule, Orion me conduit jusqu'à la lingerie où il m'aide à trouver une combinaison à enfiler. Puis nous poursuivons notre route. Je le suis sans piper mot. Je n'en ai pas besoin. Il s'occupe à lui tout seul de remplir la conversation et je me laisse emporter dans son babillage incessant. Son enthousiasme déborde et m'entraîne dans sa vague qui me tire juste assez de ma torpeur pour continuer à avancer.

HOPEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant