Partie 2

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— Alors nous ne pouvons compter que sur nous-même, affirme Orion avec bagou. Après tout, ce n'est pas pour un chien de l'Union qu'ils vont risquer leur peau. Mais on va leur montrer !

Je tourne ma tête vers lui, interloquée. Il n'est pas habituel de lancer au détour de la conversation qu'on est originaire de la faction ennemie. Alors comme ça, Orion n'est pas un de ces insupportables fils à papa qui arpentent les couloirs de l'Académie avec l'insolente certitude que la galaxie entière leur appartient. Il n'est pas un de ces enfants de notable, bien discipliné et à la route toute tracée. Pas comme moi. Il a dû en baver pour devenir étudiant navigateur.

— Comment t'es arrivé dans la Confédération ?

— Ma mère a fui Vesta VII pendant la Grande Famine. Elle me disait que j'étais un gosse intelligent et que, moi, j'aurais une chance de m'en sortir. Ma plus grande supportrice !

Un rire cristallin s'envole d'entre ses lèvres.

J'ai déjà entendu des rumeurs sordides sur la famine qui a frappé la surpeuplée station dortoir de l'Union. Les bribes qui nous en sont parvenues ont servi de terreau à des histoires d'épouvantes qui font frissonner les enfants la nuit et tiennent en garde la population. Une mort atroce. Des exactions. La hausse de la criminalité. Le chaos. Du cannibalisme. Sans doute pour la plus grande partie, de la simple propagande confédérée. Mais ce qui est certain, c'est que les gens ont souffert.

— Ça a dû être difficile, est la seule banalité que je trouve à lui dire.

Il hausse les épaules.

— Ouais, c'est vrai. Mais dans l'Union quand c'est difficile, ça l'est pour tout le monde. Y a pas de privilèges. Alors on se serrait les coudes.

L'étudiant laisse sa tête partir en arrière, le regard rêveur.

— Et puis, ajoute-t-il railleur, les gens étaient moins coincés là-bas.

Ses yeux se plantent dans les miens. Je tressaille. Le coin de sa bouche se relève en un rictus effronté et face à mon air médusé, Orion se met à chanter, battant bruyamment la mesure avec son pied. Le dialecte m'est inconnu. C'est quelque chose de chaud, de brut et un peu rocailleux. Sa voix déraille par moment mais il s'époumone librement et il me semble que sa joie m'éclabousse.

Quelque chose frémit dans ma poitrine, à un endroit que je pensais mort à jamais. Le fourmillement se change en une douce chaleur qui remonte jusqu'à ma gorge où elle s'épanouit en un léger pouffement.

Orion se tait. Il m'observe, étonné par le son qui vient de passer mes lèvres. Comme subjugué.

— C'est un chant de Vesta ? je demande finalement.

La douceur et l'affection dans ma voix me surprennent.

— Oui, me confirme Orion. La musique nourrit l'âme. C'est ce qu'on dit sur Vesta. Ça faisait longtemps que je ne l'avais pas chanté. Merci d'avoir été un si bon public.

Mes lèvres s'étirent.

— Il faudrait que je t'y emmène, ajoute-t-il. Je suis sûre que ça te plairait. Ça grouille de monde, c'est vivant !

J'approuve, bien que lui comme moi savons que cela n'arrivera pas. Sur Vesta, je serais perçue comme une ennemie, lui comme un paria. Et puis surtout, nous allons mourir.

— En quittant l'Union, tout a changé pour moi. J'ai même choisi mon prénom à ce moment-là.

Mes sourcils se soulèvent.

— T'as changé ton prénom ?

— Oui. Je trouvais que Orion c'était classe parce que c'était un chasseur très fort et que quand on regarde la constellation, on a l'impression qu'il tient un arc ou un bouclier. J'avais treize ans à l'époque pour ma défense.

HOPEOù les histoires vivent. Découvrez maintenant