En vers et contre tous

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Aujourd'hui comme tous les jours, c'est le grand carnaval
De mes plus beaux atours je me pare pour le bal
Mon chapeau, mon manteau, pour bien parader
Pas un seul bout de peau ne doit dépasser
Bien sûr je n'oublie pas l'ultime pièce maîtresse
Celle derrière laquelle tous mes traits disparaissent
Mon masque immaculé, telle est la tradition
Afin de dissimuler la moindre émotion


Ainsi costumé je rejoins enfin la foule
Et me laisse rapidement emporter par la houle
Les confettis, les danses, les musiques, les paillettes
Tous les corps sont en transe, les esprits à la fête
Bientôt je me confonds dans la masse mouvante
Un parmi des millions qui avancent et qui chantent
Peut-on vraiment rêver meilleur endroit où être
Dans ce monde où paraître permet d'apparaître ?


J'ai jusqu'ici pensé cette question rhétorique
Que nul n'abandonnerait un confort si pratique
Pourquoi remettre en doute un système qui fonctionne ?
Si tu veux changer de route c'est que c'est toi qui déconnes
Moi je veux pas déconner, je veux être comme tout le monde
Ne pas être celui qui se fait traiter d'immonde
Alors comme tous ces gens derrière leur masque blanc
Je reste sage dans le rang, l'air joyeux et pourtant...


Je n'aime pas le porter, il est dur, il est froid
Il est collant et poisseux, tout ça à la fois
J'ai l'impression qu'il n'est pas vraiment fait pour moi
Comme si l'on s'était trompé au moment du choix
Mais chacun en a un et l'arbore fièrement
Si c'est ainsi alors je dois en faire autant
C'est vrai, pourquoi s'imposerait-on une telle contrainte
Si toute la population en faisait la complainte ?


Encore une question qui n'attend pas de réponse
Encore un problème dans lequel je m'enfonce
Les autres autour de moi semblent sains mentalement
Ils n'ont visiblement pas les mêmes tourments
Je suis donc tout seul face à la multitude
Pourtant rien ne me trahit dans mon attitude
Je crois que je suis fou, que mon cerveau débloque
Et ce masque trop serré dans lequel je suffoque


Je voudrais le garder mais ne le supporte plus
Je ne peux plus accepter cette comédie farfelue
Tant pis pour les critiques, tant pis pour les galères
Aujourd'hui je m'affirme, au revoir moi d'hier
Sans hésiter encore je retire ce poids mort
Et laisse mes poumons respirer sans effort
Je ressens dans l'instant un soulagement énorme
Vont-ils me châtier pour avoir quitté la norme ?


Cette fois-ci la réponse ne se fait pas attendre
D'un mouvement de concert je sens la foule se tendre
Très vite autour de moi un grand cercle se forme
Je deviens leur pantin, leur créature difforme
On me montre du doigt, dans mon dos on chuchote
Je n'ai plus aucun droit car plus droit dans mes bottes
Bien masqué on m'aimait, démasqué on me hait
Quand le faux-moi plaisait là on rejette le vrai


Les premiers rires éclatent et moi en sanglots
Je cherche à quatre pattes les restes de mon égo
Je les entends se gausser à gorge déployée
Puisqu'apparemment c'est marrant de se moquer
Je me sens solitaire et mon cœur se serre
Me voilà rabaissé au rang de ver de terre
Que va-t-il se passer ? Quelle crasse vont-ils me faire ?
Qui sera le premier à me jeter la pierre ?


Mais la pierre ne vient pas, personne ne fait un pas
Moi qui me croyais prêt à subir un combat
Lentement je me lève, ma rage prend la relève
Je compte bien m'exprimer et tant pis si j'en crève
Alors que je m'apprête à sortir le grand jeu
Aucune once de malice je ne croise dans leurs yeux
Tous ces gens sont comme moi, prisonniers de leur masque
Et s'ils rient aux éclats c'est pour pas faire de frasque


Ne voyez-vous donc pas que vous êtes enfermés
Piégés par un dictat qu'aucun n'a ordonné ?
Si vous restez cachés, c'est que vous le désirez
Trop peureux que vous êtes d'enfin vous révéler
Mais j'affirme aujourd'hui qu'il n'y a rien à craindre
Regardez-moi ici, je ne suis pas à plaindre
Vous avez beaucoup ri et j'ai un peu pleuré
Cependant me voilà debout sur mes deux pieds


Vous aussi vous pouvez affirmer qui vous êtes
Arrêtez de cacher votre corps, votre tête
Je le sais dans mon cœur que vous en avez marre
Je le vois dans vos yeux que vous voulez y croire
Bas les masques mes amis, vous êtes plus beaux sans
Soyez fiers de vos envies, vos idées, votre sang
Personne ne peut éteindre ce feu qui en vous brûle
Pas même vous-même ni ce masque ridicule


Je vois dans leur regard que bien d'entre eux hésitent
C'est alors qu'un des couards me fait face et réplique
Que je dis n'importe quoi, que ça n'a aucun sens
Que je ne suis qu'un fou qui interrompt la danse
Et bien soit je suis fou, quelle merveilleuse chance
Toutes ces peurs qui les hantent moi je m'en balance
Je suis libre, plus qu'aucun, le maître de mon destin
Plus personne ne balisera pour moi mon propre chemin...


Aujourd'hui comme tous les jours, c'est le grand carnaval
À visage découvert je vais quand même au bal
Les gens rient toujours mais préfèrent rester masqués
Accepteront-ils un jour d'enfin le retirer ?


Je n'ai pas de réponse mais au moins j'ai fini d'étouffer

Poète PouetOù les histoires vivent. Découvrez maintenant