« Que cet instant dur à loisir, il est si beau.
Il n'a de visage que le tien.
De nom que le tien.
De magie que la nôtre. »
En piquant ma curiosité, tu avais atteint ton but. J'étais intriguée, je voulais désormais en savoir davantage sur toi, percer ce mystère. J'y voyais également l'opportunité de me nourrir, car oui, il y avait aussi de ça. J'avais faim, j'avais soif et tu étais possiblement en mesure de répondre à mes besoins. Au moins, voulais-je m'en assurer, vérifier la qualité de la came... Ce furent là les débuts de l'obsession, de petits puis de grands orgasmes intellectuels. En amour, les affinités électives, c'est ce qu'il y a de pire. Quand l'esprit et le corps s'embrasent de concert, il faut s'attendre à des lendemains douloureux. Tu l'ignorais. Moi, pas. Je l'avais déjà vécu platoniquement quelques années auparavant. Lui, je l'avais d'ailleurs revu quelques mois avant notre rencontre. Rien n'avait changé malgré les années... C'est toi qui as éteint ces premiers feux passionnels allumés quelques six années plus tôt et qui jusqu'alors n'avaient jamais faiblis malgré une séparation sans contact durant près de quatre ans. C'est d'ailleurs lui qui était revenu vers moi, nostalgique de notre complicité intellectuelle, celle-là même qui m'avait tant manquée, et dont je désespérais de connaître un jour l'accomplissement ultime, celui de la fusion charnelle.
Je savais. J'aurais donc dû me douter. Mais je n'ai rien vu venir. À force de faire le con, tu avais endormi ma vigilance. Pourtant, ton regard si particulier, son intensité, aurait dû m'alerter. Ne dit-on pas que les yeux sont le miroir de l'âme ? Mais c'était déjà trop tard quand j'ai compris. Aurais-je pu arrêter la machine ? Oui, sans aucun doute. Il m'aurait suffi de faire preuve de contrôle, de discipline. Une fois consciente de la situation, j'aurais tout à fait pu tuer dans l'œuf ce qui était en train de naître. Mais la vérité, c'est que je n'en avais aucune envie. Tu m'avais ferrée. Je te désirais déjà plus que tout, corps et âme. Mais si j'ai persisté, c'est aussi parce que je devinais l'attirance réciproque et c'était diablement tentant. Mystérieux aussi, d'abord parce que je ne comprenais pas cette réciprocité et que je me demandais bien ce que tu pouvais me trouver. Ensuite, parce que si la situation n'était pas pour moi tout à fait inédite, en revanche, la possibilité de concrétiser, c'était une nouveauté... Aimer follement, passionnément et être payé en retour... Instinctivement, je savais déjà que j'étais confronté à un phénomène rare, qu'il était peu probable qu'à l'avenir, les astres s'alignent une nouvelle fois avec autant de précision. Je savais qu'il y avait là une expérience exceptionnelle à vivre. Je me suis abandonné à cet étourdissement, je l'ai savouré, en espérant qu'il était partagé, craignant qu'il ne le soit pas. Pouvais-je m'égarer ? J'avais pris le risque.
Après Nietzsche, c'est moi qui me surpris à chercher ton regard... Ta présence. Plus précisément, quand tu venais vers moi, je t'accueillais avec un discret sourire. Mais surtout, j'affrontais ton regard. Je le sondais très attentivement, sans retenue. Ce que je n'avais jamais fait, jusqu'à présent. Nos conversations s'aiguisaient et ce qui ne pouvaient se verbaliser, passait par le regard dans des échanges aussi silencieux qu'intense. Instinctivement. Notre complicité se renforçait à une vitesse folle, comme si nous nous étions toujours connus. Et ta copine commençait à me regarder de travers. Il faut dire qu'elle assistait en spectatrice impuissante à la naissance d'une intense synergie dont elle était totalement exclue. Et puis le samedi midi, tu m'as demandé si j'étais libre le dimanche. Non. Nous recevions. Peut-être en fin d'après-midi... Dès la fin du repas, j'ai commencé à attendre. Je t'avais donné le fixe de la maison, pas mon portable... J'avais du mal à imaginer que tu puisses te libérer un dimanche. Chez moi, c'était un jour réservé à la famille, au repos. Mais à 15 h, tu appelais. J'étais déjà installée dans ma chambre assise dans un fauteuil tout près du téléphone. La sonnerie eut à peine le temps de retentir... L'un comme l'autre, on ne pouvait déjà plus se passer de nos discutions, de cette came à laquelle nous allions revenir encore et toujours et qui allait nous tenir pendant près de quatorze mois. En plus du reste... Ma mère te convia à prendre le café. À 16 h, tu étais dans ma chambre. Tu avais traversé la ville au pas de charge. Et quand fébrile, tu fis choir ta part de tarte, elle comprit qu'à sa grande stupéfaction et malgré la différence d'âge, nous étions bien plus que des copains...
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L'Ange et la Lionne
Romance[Réécrit, corrigé et augmenté - 29 mars 2023] Tu avais 17 ans. J'en avais 22. Dire que notre histoire a fait jaser quand elle s'est su est un euphémisme. Jusqu'à la fin de l'année scolaire, notre relation entretint les conversations : chuchotements...