« Distant de toi, mon amour, je ne le suis jamais plus que l'espace qui sépare nos peaux quand elles se mêlent. Je pense à toi, et ton image me donne des forces, merci ma lionne. Merci d'exister et de partager ta chaleur avec moi. Je t'aime de toute mon âme, même si le diable n'en voudrait pas pour trois vœux. »
Dans les premiers temps, ça n'avait pas eu d'importance. Tu t'en foutais. Ça ne te dérangeait pas d'initier les choses. D'autant plus qu'il s'agissait le plus souvent d'un élan commun et qu'il eut été difficile de déterminer lequel de nous deux avait commencé... De toute manière, je partais au quart de tour. Un regard de toi et je me liquéfiais. Littéralement. Je me souviens de ton visage tendu, douloureux, de cette vulnérabilité que tu assumais pleinement quand je caressais ton érection si dure que ton boxer avait bien du mal à retenir. Je me souviens de mes reins douloureux, de mon bas-ventre endoloris par le poids du désir, et l'attente, l'attente parfois interminable qui nous tourmentait. Jusqu'à la folie. À tel point que pour faciliter les choses, nous nous sommes quasiment immédiatement faits tester pour le HIV et ainsi pouvoir nous passer du préservatif...
De nos ébats si passionnés, si absolu, il ne me reste qu'une impression d'ensemble. D'exultation. Seul un souvenir précis demeure. C'était un dimanche. Ta mère recevait quelques amis pour déjeuner et m'avait convié. Elle venait de nous appeler. La plupart des convives étaient dans le jardin et l'apéro allait débuter. Il a suffi d'un regard. Du velours de tes lèvres sur les miennes. On ne pouvait pas résister à cette attraction impérieuse qui s'emparait de nous et qui semblait disposer de sa propre autodétermination contre laquelle nos volontés respectives ne pouvaient pas lutter. Et quand elle prenait le dessus sur nous, rien ne pouvait l'arrêter, elle exigeait satisfaction. On savait pourtant qu'on n'avait pas le temps, que ce n'était pas le moment. La porte-fenêtre de ta chambre donnant sur le jardin était entrouverte, la brise soulevant le voilage par intermittence. On pouvait entendre les rires et les conversations distinctement. Ta mère nous a appelé une deuxième fois. Sans succès. Nous n'avons jamais vraiment eu besoin de préliminaires. Un regard, un sourire, quelques mots suffisaient à nous enflammer. Ça a commencé avec mes mains caressant ton dos, tes fossettes de Michaelis, avant de pénétrer ton jean et caresser tes fesses. Tout en dégrafant mon chemisier, tu embrassais mon cou furtivement, mes lèvres passionnément, nos langues s'entremêlant dans un ballet frénétique. Le désir impérieux de satisfaire l'envie que l'on avait de l'autre venait de nous précipiter une fois encore dans un état d'exaltation d'une rare intensité. Quand ton pantalon est tombé, on ne pouvait plus reculer. On s'est retrouvé au sol. J'étais en jupe. Tu l'as relevée et quand tu es entré en moi d'un coup de rein, mon corps s'est cambré tout entier pour te recevoir. Et nous avons tous deux dû étouffer un gémissement de satisfaction. La sensation de ton corps sur le mien, la douceur de ta peau, cette chemise blanche entrouverte sur ton torse. Bon Dieu... Mes mains sur tes reins, j'accompagnais tes va-et-vient en écartant toujours davantage mes cuisses. Je te voulais en moi, toujours plus profondément. Nous avions peu, très peu de temps. La cadence s'est accélérée jusqu'à la volupté suprême. Dans un silence presque absolu, nous avions forniqué furieusement jusqu'à l'écume. Le sol était trempé... Et pendant quelques instants, nous n'avions plus tout à fait notre raison. Le shoot d'hormones qu'on venait d'encaisser nous avait grillé suffisamment de neurones pour qu'il faille à notre cerveau quelques minutes pour en produire à nouveau suffisamment et enfin nous rendre à la vie réelle. Ce jour-là, quand nous sommes enfin descendus, je n'aurais pas su dire si on s'était fait repérer. On s'en foutait. C'était trop bon. Durant le repas, on ne s'est pas lâché du regard. On n'a pas pris de café. On est remonté. On a recommencé. On n'a pas non plus pris le thé. On est remonté... On a recommencé... Voilà. C'était ça. Une addiction à l'autre.
Nous deux, ce n'était d'ailleurs pas que des one shoot rapide et violent. Non, c'étaient aussi des nuits, des matinées, des après-midi entières à discuter autant qu'à baiser. On n'était pas des anges. Compter les fleurs du papier peint, très peu pour nous. Ce que j'appréciais le plus, c'était les soirées et les nuits à discuter, à écouter de la musique, blotti sous la couette l'un contre l'autre dans la lumière tamisée d'une lampe de chevet posé au sol. La nuit. Le silence. Le son de nos voix. Puis nos souffles et enfin, nos gémissements. Tu étais un déconneur. Un vrai. Mais quand on s'apprêtait à satisfaire notre soif l'un de l'autre, le gamin espiègle se muait en un homme animé d'une calme détermination. Tu adorais mon corps autant que tu l'honorais et ça n'avait rien d'un délire machiste. Attentif et concentré, tu abordais la chose avec une ferveur aussi passionnée que douloureuse, comme si ta vie en dépendait. Ta quête d'absolu en la matière te poussait à donner le meilleur de toi-même. Quand nos corps faisaient l'amour, nous n'étions plus qu'une seule et même âme. Jusque dans le sang...
Il faut dire que tu étais beau, tellement beau, un charme fou qui ne laissait personne indifférent. Les traits de ton visage, fins, élégants, racés. Un ange... De lourdes boucles châtain clair, des yeux vert amande, un sourire envoûtant et le corps d'un demi-dieu. Quand j'ai admiré en 2008 le Persée de Cellini à Florence, c'est à toi que j'ai pensé. Instinctivement. Tu avais un corps magnifique, un corps d'éphèbe grec, parfaitement proportionné, souple et agile. Une peau nivéenne, imberbe. Tu n'étais pas particulièrement musclé, mais ta nudité était hypnotique, héroïque. Plutôt que l'Éphèbe de Marathon ou d'Agde, c'est à l'Endymion de Girodet que tu me faisais penser. La femme amoureuse d'alors l'affirmait déjà. C'est aujourd'hui l'historienne de l'art, celle qui étudia entre autre l'Antiquité grecque, en particulier la statuaire. Qu'ils furent difficiles ces cours suivis dans le grand amphithéâtre de l'École du Louvre alors même que nous étions en train de rompre. Voir ses corps idéalisés s'afficher sur grand écran, me rappelant le tien qui me manquait cruellement. Une torture. Moi qui ai dessiné pendant longtemps, je regrette aujourd'hui de n'avoir jamais pris le temps de te croquer... Nu. Les photos qu'il me reste de toi ne mentent pas. Aujourd'hui encore, je ne résisterai pas...
J'aimais ton corps et je regrette aujourd'hui amèrement de n'avoir pas été en mesure de l'adorer et de l'honorer comme j'en crevais d'envie, comme il le méritait. Mais la crise du mois de mars avait eu avec le temps des conséquences. Incertitudes et peurs avait eu raison de ma spontanéité. J'avais toujours manqué de confiance en moi. Mais là, c'était devenu maladif, obsessionnel. Je me posais beaucoup trop de questions. Au lieu de profiter de toi, de ce cadeau que la vie me faisait, je me demandais ce que tu faisais avec moi et quand tu te rendrais enfin compte de ton erreur. Étais-je à la hauteur ? Intellectuellement, sans aucun doute. Sexuellement, tu ne me trouvais pas assez demandeuse. Je ne pouvais pas t'en vouloir puisque c'était vrai. Passive aussi. J'aimais les choses simples. Peut-être un peu trop pour un hédoniste de ta trempe, quoique rétrospectivement, tu n'aies jamais sollicité quoi que ce soit de scandaleux. Pourtant, ça n'avait rien à voir avec le désir que j'avais de toi. Intact depuis la première seconde où je t'ai désiré comme amant, violent, entêtant, insatiable. Je ne pouvais pas me lasser de ton corps, du contact de ta peau sur la mienne. Tes lèvres, tes mains... Mais dès que j'étais au pied du mur, que je voulais prendre l'initiative, je bloquais. Je me trouvais indigne de toi, ridicule. Me donner en spectacle me tétanisait. Syndrome de l'imposteur. J'avais peur du regard que tu poserais sur moi, des erreurs que je pourrais commettre. L'envie était pourtant grande, d'autant plus grande que mon blocage générait une frustration sans commune mesure. J'en crevais d'envie. J'avais même beaucoup d'imagination. La seule perspective d'être l'instigatrice de ton plaisir, de te contempler abandonné, prêt à défaillir, avait le don de m'électriser. Et je savais très bien quoi faire ayant eu l'occasion de "m'exercer" avec quelqu'un que j'avais aimé peu et par défaut, mais qui avait très bien fait le boulot. Et crois-moi, tu aurais apprécié. Rien de bien compliquer, que des choses simples, mais redoutablement efficaces lorsqu'elles sont bien exécutées. Je le sais d'autant mieux que d'autres que toi en ont profité depuis. J'aurais préféré te laisser à toi des souvenirs que j'ai laissés à d'autres... Je te l'avais pourtant promis...
Seulement voilà, la puissance de mes sentiments à ton égard a joué contre moi. Plus que tout, j'avais peur de mal faire, de ne pas être à la hauteur, de te décevoir. Instinctivement, l'expectative dans laquelle je te laissais me laissait à moi un répit, là où je craignais qu'une erreur de ma part ne précipite notre fin. Je me souviens de ces fois où j'ai essayé de me dépasser... J'étais paralysée, totalement parasitée par des pensées cauchemardesques, par mon manque de confiance en moi. Le fait est que je n'ai jamais retrouvé la spontanéité de nos premiers ébats. Et mon Dieu, quel gâchis... Nous aurions pu atteindre cette perfection qui nous fascinait tant. Ton corps, ton âme entre mes mains, j'avais là le plus sublime des terrains de jeux et je l'ai saboté. Je nous ai saboté. Je sais que je ne t'ai pas perdu pour cette raison. Aurais-je été la plus habile des horizontales que ça n'aurait pas suffi. Tu avais besoin de papillonner, de multiplier les expériences. Tu étais comme ça, hédoniste, libre jouisseur. Et contre cela, je ne pouvais rien.
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L'Ange et la Lionne
Romance[Réécrit, corrigé et augmenté - 29 mars 2023] Tu avais 17 ans. J'en avais 22. Dire que notre histoire a fait jaser quand elle s'est su est un euphémisme. Jusqu'à la fin de l'année scolaire, notre relation entretint les conversations : chuchotements...