« Il me serait si facile de faire semblant de ne pas voir que mon errance te déchire. Je pourrai continuer encore, encore, encore à te brûler à force de ne pas savoir. Pardon Ma Lionne, mais je n'en ai plus la force. Écris-moi, je te répondrai car je refuse (quelle vanité !) que tu disparaisses de ma vie. »
En septembre, nous devions intégrer deux prestigieuses établissements parisiens : toi, l'une des plus célèbres prépa de la capitale ; moi, l'École du Louvre. C'était du lourd. On allait en chier, on le savait... Quand la rentrée est arrivée, j'ai rapidement compris qu'il ne nous restait plus beaucoup de temps, au propre comme au figuré. Tu étais interne. Nous ne pouvions nous voir que le weekend quand tu rentrais dans l'Oise. En prépa, c'est chacun pour soi, mais la cohésion et l'entraide sont paradoxalement primordiales, en particulier l'aspect psychologique qui permet de tenir le coup. Je savais très bien comment, à plus ou moins court terme, tu allais régler ce "problème". On ne se voyait pas assez pour satisfaire ta libido. Et puis le weekend, même quand on arrivait à se voir, on bossait, on était crevé. Je pense que tu as lutté jusqu'au bout pour repousser l'inéluctable. Parce que tu m'aimais. Du moins, ai-je la faiblesse de le croire. De mon côté, je savais que ça n'allait pas tarder, que ce n'était qu'une question de temps. J'attendais que le couperet tombe. Résignée.
Et ce qui devait arriver, arriva. On en avait longuement parlé durant l'été. Mais on a beau s'attendre au pire, ruminer sur le bout des doigts l'inéluctable, la douleur de la réalité n'est en rien comparable avec celle que l'on a anticipé. La peur, le froid et puis, immédiatement, cette atroce sensation de manque, violente, implacable, et que l'on sait à jamais ne plus pouvoir soulager. Tu as voulu faire les choses dans les règles, respecter cette promesse que tu avais réitérée à la rentrée. Tu m'aimais. Tu ne voulais pas me trahir. Le timing n'a rien arrangé. Le soir de mon anniversaire... Du reste, ce n'était pas vraiment une rupture. À ta voix, j'ai tout de suite compris. Tu étais mal, très mal. Un soir de solitude et d'introspection, tu avais fait « un retour », tu t'étais remis en question. La violence des mots... Non pas que tu sois passé de l'amour à la haine. Non. C'était pire. On s'aimait toujours aussi passionnément, mais on ne pouvait plus s'aimer. Tes sentiments à mon égard étaient toujours les mêmes, mais tu voulais récupérer ta liberté. Celle de papillonner. Je ne pouvais accepter. Une impasse. Je ne pouvais même pas t'en vouloir ou te détester. Dans les jours qui ont suivi, je me suis rendu au lycée où tu suivais ta prépa et j'y ai déposé une lettre que j'avais écrite dans un des couloirs déserts du Carrousel du Louvre. Je savais pourtant pertinemment que c'était foutu, que ça n'aurait aucune incidence sur la suite des choses... C'était écrit depuis le début. Je le savais avant même de commencer. Maintenant, il fallait assumer. Nous avions vécu au jour le jour. Je continue à penser que notre relation n'aurait pas pu éclore dans un autre climat que celui-ci. Mais les beaux jours étaient désormais révolus. Le pire m'attendait. Parce qu'à 17 ans, on ne saurait aimer au long cours, quitte à aller contre ses sentiments. Tu étais trop jeune pour que j'exige de toi une relation à long terme basé sur la fidélité. Point.
Je devais te laisser partir. Mais tu ne m'as pas facilité la tâche. J'avais envisagé tous les cas de figure, mais pas celui-là. Tu devais cesser peu à peu de m'aimer, me tromper même. Mais m'aimer toujours et demander, me supplier en larme, de t'autoriser à reprendre ton batifolage pour ne pas me perdre... Jusqu'au bout, tu auras su m'étonner... Tu m'as même proposé d'être la reine de ton sérail. Tu ne manquais pas d'aplomb. La promotion était tentante, mais j'ai refusé. Je ne voulais pas que notre relation souffre de ce type d'arrangement. Elle était bien trop belle. Je ne pouvais accepter que cette liberté que tu demandais t'avantage et me desserve, car pour moi, bien que tu m'y aies ouvertement encouragé, elle était parfaitement inconcevable. Je ne voulais personne d'autre que toi. Toi et toi seul. De toute manière, cette proposition sulfureuse était de ta part un vœu pieux. Tu savais pertinemment qu'en allant voir ailleurs, tu signais l'arrêt de mort de notre relation. La demi-mesure, je n'avais jamais su faire, qui plus est en amour. Ça aussi, tu le savais...
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L'Ange et la Lionne
Romance[Réécrit, corrigé et augmenté - 29 mars 2023] Tu avais 17 ans. J'en avais 22. Dire que notre histoire a fait jaser quand elle s'est su est un euphémisme. Jusqu'à la fin de l'année scolaire, notre relation entretint les conversations : chuchotements...