Relation père-fils

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- Je peux savoir où t'étais passé ?! Je me suis fait un sang d'encre !

- Et comment j'étais censé être au courant ? Tout ce que tu faisais, c'était m'insulter et me jeter des bouteilles à la figure !

- J'essayais de te protéger !

- Drôle de façon d'y parvenir !

- Tu ne comprends pas !

- Parce que tu n'as jamais essayé de m'expliquer !

Nous nous dévisageons avec rancœur. Lui est coiffé, habillé correctement et, pour une fois, ne sent pas la chiasse. Moi, je tiens à peine debout, je n'ai pas pu me laver depuis que je suis arrivé, et mon t-shirt est encore induit du sang que j'ai apparemment craché quand Gueule de Loup m'a donné un coup de pied.

- Écoute fiston...

- Non. Fallait y penser avant !

- Mais écoute-moi !

- Non, toi écoute-moi ! Est-ce que tu sais ce que ça fait de dormir à la belle étoile toutes les nuits en sachant que s'il pleut tu ne peux aller nulle part ? Est-ce que tu sais ce que c'est que de gérer le travail et le lycée ? Est-ce que tu sais ce que ça fait d'être sans famille ?!

J'ai hurlé ma dernière phrase. Je suis à bout. Combien de jours que je ne suis pas sorti ? Je ne sais pas. Combien de jours que je n'ai pas mangé un repas décent ? Je ne sais pas. Combien de jours que je m'inquiète comme un fou pour ceux qui vivent encore dehors ? Je ne sais pas. Je suis épuisé, affamé et en colère. Et c'est à ce moment-là que mon père vient me rendre visite.

- Mais surtout... je reprends d'un ton plein de haine, est-ce que tu sais ce que ça fait d'avoir des trous de mémoire ?

Il esquisse un mouvement de recul. Donc j'avais raison. Mon souvenir est bien vrai.

- Surtout quand ils sont dus à mon propre père...

Cette fois-ci, il se fige.

- Tu t'en rappelles... ? fait-il, la voix éteinte.

La rage monte d'un coup.

- Est-ce que tu te rends compte qu'à cause de ça j'ai oublié ma seule amie ? Qu'elle a cru que je la détestais alors que juste je ne m'en rappelais plus à cause de toi ?! Elle s'est scarifiée, elle a tenté de se suicider à cause de ça ! Et tu ne te sens même pas un peu coupable ? Espèce d'enflure !

Son visage est tellement pâle qu'on dirait un fantôme. Ah, il ne s'y attendait pas à celle-là hein ?

- Est-ce que tu veux bien m'écouter maintenant ?

Je réfléchis. Est-ce que je me sens capable de l'écouter sans m'énerver ? Non. Est-ce que j'en meurs d'envie ? Oui.

- Vas-y.

Il soupire. Inspire un grand coup. Et se lance.

- Tout a commencé ce fameux jour...

Et il me raconte. Il me raconte qui s'est occupé de moi alors que je pissais le sang. Il me raconte ce qu'il a dû faire en échange. Il me raconte pourquoi il a gardé le silence.

Lorsqu'il s'arrête, je le vois sous un autre jour. Je le vois enfin comme... un père aimant, qui cherchait à aider son fils à sa façon. Je comprends un peu mieux maintenant. Je ne suis pas encore prêt à lui pardonner tous les rhumes que j'ai attrapé à cause des nuits passées sous la pluie, ni les insultes qu'il me lançait à tout bout de champ, mais au moins je peux le supporter maintenant.

- Qu'est-ce qui a changé ? je lui demande brusquement, brisant le silence qui s'était installé.

- Pardon ?

- Pourquoi d'un coup tu t'es mis à te soucier de moi ?

Il baisse la tête, comme honteux.

- Parce que j'ai cru te perdre. Ça m'a rendu fou, je ne voulais pas que ça se reproduise.

Je cligne des yeux, stupéfait.

- Ça veut dire que... tu tiens à moi ?

- Mais bien sûr que oui !

- Ben, c'était pas évident...

Il esquisse un petit sourire penaud. Il est conscient que malgré son geste je lui en voudrai pendant un petit moment, mais il l'accepte. J'ai enfin l'impression de retrouver le père que j'ai perdu lorsque ma mère est partie.

- Oh d'ailleurs, j'ai vu maman y a pas longtemps.

Son visage se fait glacial. On dirait qu'il ne lui a pas pardonné d'être partie...

- Qu'est-ce qu'elle voulait ?

Ouch, son ton est vraiment sec... Mais d'un autre côté, je le comprends sur ce coup-là.

- De l'argent je dirais.

- Combien elle t'a extorqué ?

Je le dévisage. Le voir s'emporter pour moi est nouveau, mais ça a son petit côté attendrissant.

- Rien, ne t'inquiète pas. J'ai réussi à m'en débarrasser.

Il soupire. Bien qu'il ait l'air plus en forme que d'habitude (enfin, mon habitude à moi...), il me parut soudain âgé. Pas dans le sens grand-père, plutôt du genre usé par la vie. Son travail pour la Meute ne devait pas être de tout repos...

- Et donc, qu'est-ce que je vais devenir moi ?

Exactement la question qu'il semblait vouloir éviter. Il soupire, comme pour retarder le moment où il m'apprendra la vérité. J'attends patiemment.

- Tu es sûr de vouloir savoir maintenant ? Je peux faire en sorte que tu aies accès à une douche et à manger si tu veux...

- Plus tard. Dis-moi d'abord.

- Ça te dit qu'on s'assoit ?

Je hausse les épaules. Il se laisse tomber sur mon matelas et se prend la tête entre les mains. Je le rejoins, un peu nerveux. Ça ne peut pas être si terrible que ça... si ?

- Tu me fais peur là.

- J'aurais préféré ne jamais me retrouver dans cette situation.

- Mais c'est le cas.

Il soupire de nouveau.

- Au fait, où est-ce que tu as appris à te battre ? me lance-t-il d'un coup. Il paraît que tu as vaincu Grizzli et que tu étais à deux doigts de finir Œil d'Aigle et Guépard d'Or.

- Je n'étais pas seul la dernière fois.

- Oui, c'est ce qu'on m'a dit. Où est-ce que tu as rencontré ton partenaire ?

- Dans la rue. Juste après avoir revu maman.

- Je vois... Mais tu n'as pas répondu à ma question, jeune homme.

Je souris lorsque j'entends ce surnom. Il m'appelait comme ça quand je faisais une bêtise avec sa grosse voix pour me faire peur, mais c'était surtout un surnom affectif.

- Un gars qui s'appelle Samuel. Quand on habitait encore dans le No Man's Land, il me donnait des cours de combat de rue.

- C'est donc ça que tu faisais quand tu disparaissais... Je n'y aurais jamais pensé.

Le silence retombe. Je jette un coup d'œil vers mon père. A son tour, il se tourne vers moi. Une nouvelle fois, il soupire.

- Tu veux savoir, c'est ça ?

Je hoche la tête, déterminé.

- Bon, qu'il en soit ainsi...

Il prend une grande inspiration.

- Tu as le choix entre intégrer la Meute ou combattre Renard Roux en combat singulier, avec ta liberté à la clé si tu gagnes.

Hannah, Tome 2 ~ Nos blessures invisiblesOù les histoires vivent. Découvrez maintenant