Chapitre 8

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Cela faisait presque un mois que nous avions repris les cours. J'avais fini par lier d'étroites relations avec mes nouvelles connaissances. Johanne n'était pas encore tout à fait à son aise, et Victoire l'était peut-être trop. D'ailleurs, elles manquaient souvent de s'écharper. Heureusement, Annabelle et moi tempérions la glace et le feu que chacune d'elles exhalait.

Les étudiants s'étaient formés en petites meutes, parfois en troupeaux, et affichaient encore les mines réjouies du début d'année. D'autres restaient en solitaire, par choix, mais pas toujours. Certains observaient les amitiés se former avec une moue un peu triste. Ils me faisaient un peu penser à des sans-abris qui auraient réclamé un peu d'amour, un peu de liens. Non, plutôt à des animaux abandonnés cherchant une nouvelle famille. Je voyais leur pelage terne, presque endommagé, mais surtout, leurs grands yeux brillants, pleins d'espoir. Mon cœur me dictait d'aller vers eux, d'adopter ces nouveaux amis, mais systématiquement, quelque chose m'en empêchait. Chaque fois, je croyais entendre la voix de Lance. « Vas-y Louve, disait-elle. Montre-nous ton implacable gentillesse. Sauve-les, sauve-les tous ! ». 

Alors, je prenais peur. D'horribles questions venaient embrouiller mon esprit, remuer mon estomac. Pourquoi étais-je gentille ? L'étais-je vraiment ? Dans quel but cherchais-je à me faire des amis ? 

Afin de les sortir de ma tête, je me mis à taper légèrement le côté de mon crâne. Ce faisant, elles s'en iraient peut-être par mon oreille, comme d'horribles mites secouées par un insecticide.

— Tout va bien ?

Johanne m'observait avec un sourcil relevé. Elle devait penser que j'étais un peu bizarre. Victoire répondit à ma place.

— Sûrement des pensées intrusives. Ou de l'eau restée coincée. Les deux m'arrivent souvent.

Nous marchions toutes les trois en direction de la bibliothèque universitaire, communément appelée BU. Johanne cherchait un livre pour son option de langue tandis que Victoire en cherchait un pour sa majeure d'espagnol. Quant à moi, il me fallait absolument Orgueil et Préjugés.

— Tu as vérifié qu'il était bien disponible ?

Je hochai la tête. Une fois dans la BU, nous arrêtâmes de parler. Beaucoup d'étudiants travaillaient calmement, des gros ouvrages ouverts devant eux. Certains étaient derrière de jolis ordinateurs portables tandis que d'autres préféraient encore le papier. En tout cas, ils avaient les yeux résolument fixés sur leur support.

Chacune partie de son côté. Très vite, je me retrouvai seule, perdue entre deux étagères horriblement hautes, remplies de livres dont je n'avais pas même entendu parler. Il me fallut quelques instants pour comprendre la façon dont ils étaient rangés et quelques instants supplémentaires pour me retrouver au bon endroit. 

Le silence de cette vaste pièce me frappa aussitôt, semblable à un remous désagréable qui s'agiterait lentement au fond de moi-même. Comme chaque fois que je faisais face à un tel calme, je commençai à remuer étrangement, à créer des sons inutiles pour remplir ces vides qui m'effrayaient tant. Je faisais crisser mes chaussures, juste un peu, puis je pianotais sur les étagères avant d'expirer un peu fort, mal à l'aise.

Après une quinzaine de minutes, je parvins à mettre la main sur le roman de Jane Austen. 

— Tu l'as trouvé ?

La tête de Victoire avait surgi au détour d'une rangée. En guise de réponse, je lui montrai le livre dans mes mains. 

Johanne cherchait encore le bouquin idéal. Nous patientâmes une dizaine de minutes de plus pour qu'elle le trouve. Ensuite, nous sortîmes retrouver l'air extérieur. Dehors, les étudiants foulaient les allées de l'université avec leurs discussions habituelles, parfois ponctuées de grands éclats de rire ; la vie qui s'agitait me rassura, apaisant la bête qui grognait entre mes organes.

Louve [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant