Le dieu aveugle

On raconte qu'il y a très longtemps, sur une île disparue de Maretis, les dieux et les déesses s'occupaient de créer le monde et de le peupler.

Un jour, Sarut, le dieu aérien, vint à la rencontre de Tael, la divinité du feu. Il se présenta avec un plateau de fruits frais et lui demanda : - Divinité du feu, puis-je être ton époux ?D'un naturel capricieux, Tael secoua vivement la tête, et bougonna. Iel refusa le plateau de fruits et congédia Sarut en ces mots : - Je sais bien que tu te moques de moi ! Nuk, le dieu de l'eau, m'a rejeté·e à cause de mes brûlures, et tu le feras aussi ! Tout cela n'est qu'une farce ! Va-t-en. Sarut en fut peiné, mais s'en alla. Le lendemain, il apporta un poème d'amour. Tael le brûla dans un brasero. - Tes mots sont bien choisis, Sarut, mais ils mentent. Je le sais. Que ferait quelqu'un d'aussi parfait que toi avec moi, boîtant et bardé·e de cicatrices ? Va-t-en. Sarut s'en alla à nouveau.

Tous les jours, il apporta de nouveaux objets d'art, exprimant plus ou moins directement son amour pour Tael. Il insistait, car on lui avait dit que Tael pleurait le soir que l'eau et le feu soient irréconciliables. Et tous les jours, Tael détruisait ces objets, s'en servant parfois pour confectionner d'autres choses. Pour le moquer, iel transformait ses lettres en cocottes, ses tableaux en jouets de bois, ses sculptures en morceaux de mobilier. Un jour, Sarut ayant essayé tous les arts possibles pour prouver son amour, s'arracha les yeux et les offrit à Tael. « Que ce soit la preuve que ton apparence ne compte pas pour moi », disait le petit mot dans la boîte. C'est seulement à ce moment précis que Tael accepta de croire Sarut, et le prit pour époux. Iel brûla les yeux de Tael, et ainsi naquirent leurs enfants Farni et Nefer, l'Ombre et la Lumière.

Ainsi révère-t-on Sarut, le dieu aveugle de l'air, des arts et de la séduction, car tous les arts sont beaux. Et ainsi vénère-t-on Tael, divinité du feu, de l'amour, de la création et de la destruction, car l'amour créé, détruit, comme tout ce qui crée détruit, et tout ce qui détruit, crée.