Chapitre 3 - Charlotte

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     Nous sommes vendredi et la semaine a été difficile. Déprimée, j'ai tenté de contacter Fabien à plusieurs reprises chaque soir sans succès. Dans le miroir de la salle de bain, j'ai l'impression de croiser un zombie. J'ai des cernes, les yeux rougis par le manque de sommeil et en prime je n'arrive à rien faire de mes longs cheveux ondulés complètement ébouriffés. Je jette un coup d'œil rapide à ma montre posée sur le rebord de la machine à laver et je percute d'un coup qu'il ne me reste que trente minutes pour me préparer. Pas le temps de me laver les cheveux. Tant pis, un chignon rapide fera l'affaire avec une bonne dose d'anti-cernes et du fond de teint pour paraître plus fraiche.

     Quand j'arrive à l'open space du 9ème étage de la tour Europe où je travaille en tant qu'assistante du manager du service communication, j'arrive à faire illusion devant la plupart de mes collègues. Mais je ne trompe pas l'œil aiguisé d'Audrey qui travaille dans le box à côté du mien.

— Tu as une tronche de déterrée ce matin ! me lâche-t-elle sans aucune empathie.

— Merci du compliment ! Toi aussi tu es toute en beauté avec tes lèvres gonflés et tes cheveux pas coiffés... verts !

— Si je suis coiffée madame ! Contrairement à toi qui espérais faire illusion avec ton chignon tordu ! Allez raconte-moi, plutôt que de dire des conneries.

— Y'a rien à raconter ! J'ai encore fait des cauchemars toute la nuit et j'ai mal dormi !

— Et ? Qu'est-ce que faisait Fabien cette fois ? Il baisait une blonde en levrette dans votre lit au moment où tu rentrais du travail. Ou non attends, j'ai mieux, il était à son bureau et elle était à genoux en dessous en train de...

— Stop ! Je ne trouve pas ça drôle ! soufflé-je.

— Ok, ok, j'arrête ! Mais franchement, c'est ce qui pourrait t'arriver de mieux, au moins tu aurais une bonne excuse pour le larguer.

— Je ne veux pas le larguer, qu'est-ce que tu racontes ! Je l'aime et on doit se marier quand il rentre.

— Oui, oui, je sais... On ne peut pas rater la bague tape à l'œil que tu portes au doigt.

     Audrey se renfrogne dans son box en mâchouillant un chewing-gum sans aucune discrétion. Je sais qu'elle n'aime pas Fabien et qu'elle espère de toutes ses forces que la distance qui nous sépare ait raison de notre couple. Mon fiancé lui rend bien son animosité. Il a toujours trouvé que ma meilleure amie m'influençait dans le mauvais sens du terme et a toujours tenté depuis les quatre ans que nous sommes ensemble de creuser un fossé entre elle et moi.

     Malheureusement pour lui, elle est ma collègue de travail, ce qui m'oblige à la voir tous les jours, pour son plus grand désespoir. Depuis le départ de Fabien, il y a un an, Audrey et moi sommes redevenues très complices et je dois bien avouer que je suis contente de pouvoir compter sur elle. Sa joie de vivre et sa facilité à être à l'aise en toute circonstance tranche avec mon caractère plus calme et plus réservé. C'est un soleil, mon petit troll, même si elle râle en permanence. En allumant mon PC pour me mettre au travail et consulter l'agenda de la journée, je souris en l'entendant pester sur un dossier qui ne veut pas s'ouvrir.

     Marc, mon responsable m'a donné un rapport à saisir avant midi, donc il faut que je me concentre un peu, même si je n'ai pas les yeux en face des trous. C'est la dernière ligne droite avant le week-end, un petit effort, me dis-je pour m'encourager.

— Ça te dit qu'on sorte ce soir ? Y'a un concert à la Laiterie, j'ai des places, me demande Audrey.

— Concert de quoi ?

— Métal, yeahhh baby ! sort-elle en brandissant une main dont l'auriculaire et l'index sont dressés, au-dessus de la petite cloison de séparation.

Elle me tire un sourire, même si je suis concentrée sur ma frappe.

— Ouais, pourquoi pas ! Quelle heure ?

— Ça commence à vingt heures trente.

— Ahhh, je serais là que vers vingt et une heure, vingt et une heures trente alors.

— Pourquoi ça ?

— Fabien doit m'appeler.

— Pfffr, il fait chier celui-là, il t'appelle toujours aux heures merdiques. Décale !

— Avec le décalage horaire, il fait ce qu'il peut, expliqué-je. Vingt heures, ça fait quatorze chez lui environ.

— Ouais mais bon... dis-lui de t'appeler demain, c'est pareil.

— Il ne va pas apprécier si je repousse son appel, juste pour sortir avec une amie. En plus si je dis que c'est toi, je vais avoir droit à une crise.

— Je ne te comprends pas ! Le mec il est à des milliers de kilomètres depuis un an et toi tu dois attendre ses appels comme un petit toutou.

— Je n'attends pas comme un toutou, m'offusqué-je.

— Ben si. Quand toi tu l'appelles il ne répond jamais, mais si lui appelle, attention c'est la crise si tu ne réponds pas dans la seconde !

— Il a beaucoup de boulot là-bas, il n'y est pas pour le plaisir hein !

— Si tu le dis...

— J'ai accepté cette situation, il voulait que je parte avec lui au départ. Donc à moi de tenir ma promesse et de l'attendre.

— Oui mais je trouve qu'il exagère... enfin, c'est mon avis, tu me connais. Mais bon à vingt et une heures le concert sera quasi fini, c'est dommage.

— T'exagères aussi comme toujours, ricané-je.

     Je stoppe ma saisie quelques secondes en réfléchissant. C'est vrai que je sors peu voire carrément pas du tout et que ma vie se résume à bosser et attendre les appels en visio de mon fiancé.

— Ok, tu as gagné. Je vais lui laisser un message pour lui dire qu'on s'appellera demain.

— Yes !!!! Après on ira boire un verre quelque part, à nous les beaux petits culs.

— Non, mais j'y vais pour le concert ! OK pour aller boire un verre si tu veux, mais pas pour draguer, je suis fiancée, rappelle-toi le bien, hein !

     Elle fait glisser son fauteuil à roulette pour sortir de son box et recule assez pour que je puisse la voir me sortir son pire faux sourire, montrant toutes ses dents, pour bien me faire comprendre qu'elle n'en a rien à foutre. Je vais clairement omettre à Fabien que je reporte notre appel pour sortir avec elle, sinon il va me faire la gueule pendant un mois. Comme à cette heure-là, c'est encore la nuit à Washington, je décide de lui laisser un message maintenant. Je file en salle de pause, prend mon téléphone et comme je l'imaginai tombe sur le répondeur encore et toujours.

— Salut, c'est Charlotte, j'imagine que tu dors encore à cette heure-ci. Je voulais te prévenir que ce soir j'ai accepté d'aller prendre un pot avec mes collègues de boulot. Je refuse toujours mais ils ont insisté alors je me suis dit que pour une fois, j'allais les suivre. On peut s'appeler en visio demain ? Je ne sais pas trop à quelle heure je vais rentrer. J'espère que tu vas passer une bonne journée, moi c'est le rush ce matin au taf. Tu me manques, je t'embrasse fort.

Kiss me... Good byeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant