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Lorsque j'ouvre les yeux, je découvre le visage d'Enzo, tout près du mien. Mon corps est prisonnier des bras du jeune homme qui dort paisiblement, ses cheveux châtains en bataille lui tombant sur le front.

Nous sommes à l'arrière d'une voiture, et il semble faire nuit à l'extérieur. J'ignore quand j'ai perdu connaissance, et depuis combien de temps.

Je me redresse rapidement, notre proximité me mettant mal à l'aise. Cela suffit à le sortir de son sommeil, puisque ses yeux s'ouvrent brusquement :

- Oh... Tu es réveillée... Marmonne-t-il en se redressant doucement.

Je m'adosse contre la porte arrière du véhicule, créant une certaine distance entre nous, et enroule mes bras autour de mes genoux, les plaquant contre ma poitrine.

Mes muscles sont engourdis, douloureux, et une migraine me lancine. Je peine à ouvrir complètement les yeux, mes paupières encore gonflées par le flot de larmes que j'ai versé.

Je laisse aller ma tête contre la vitre, et inspire profondément.

C'est à cet instant que les souvenirs me frappent avec une violence inouïe.

Aaron. Putain.

- Pourquoi tu as fais ça ? Reprochais-je au jeune homme avec amertume.

Il hausse un sourcil, l'incompréhension se peignant sur ses traits fatigués.

- Je suis loyal à mon supérieur. J'éxécute ses ordres. Se défend-t-il en plissant les yeux.

- Il faut qu'on aille le chercher.

Il se redresse doucement et se gratte distraitement l'arrière du crâne, semblant hésiter quant aux démarches à suivre.

- Il est sûrement mort à l'heure qu'il est.

Mon cœur se serre d'une manière intensément douloureuse dans ma poitrine. Je fixe le garçon avec insistance, refusant de prendre ses allégations au sérieux.

- Non. Il ne peut pas l'être.

Je suis consciente d'être dans le déni le plus total, pourtant, cela m'importe peu.

- Amber, tu as vu la même chose que moi... Il s'est pris trois balles... Sans un bon chirurgien, c'est quasiment impossible qu'il s'en soit sorti. Et je doute que les flics l'aient escorté à l'hôpital. Soupire-t-il en attrapant un paquet de cigarettes coincé dans la portière.

- Il n'est pas mort. J'insiste, mon regard se perdant dans le vide.

Enzo secoue la tête, résigné.

- Il faut que tu t'habitues. Les morts sont monnaie courante dans notre monde.

La nausée remonte dans ma gorge à l'entente de ses mots, alors que mes trippes se tordent :

- Comment tu peux dire ça ? Ta sœur vient de mourir, et tu viens de perdre ton père ! Ça ne te fais rien ? M'indignais-je avec froideur.

Il fronce les sourcils et allume sa cigarette :

- Je n'ai pas dit que je ne ressentais rien. Loin de là.

- On aurait jamais dû le laisser. Bon sang, qu'est que j'ai fais...

- C'était sa décision. Rétorque-t-il en laissant la fumée s'échapper d'entre ses lèvres.

La culpabilité et la peine me rongent. Un immense vide se crée en moi, si intense, si profond, que je parviens même pas à laisser échapper un sanglot.

- Il aurait dû m'écouter... On aurait dû partir ensemble... Murmurais-je en fixant un point imaginaire.

- Il ne l'aurait pas fait. Aaron à l'Organisation dans le sang. C'est un soldat. Me répond-t-il avec franchise, en plongeant son regard dans le mien.

Un soldat. Jusqu'à ce que cela le mène vers une mort certaine.

Je déglutis faiblement, et passe une main sur mon visage poisseux, inspirant profondément.

J'ai vu tant de cadavres en si peu de temps... Des vies ôtées si facilement, et sans hésitation. Sans une once de pitié.

Et désormais, je suis de celles qui ont ôté la vie. J'ai tué, de la même manière que ces hommes. Sans hésiter, sans réfléchir aux conséquences un seul instant.

- Kyle... Soufflais-je horrifiée, alors que certains détails me reviennent.

Une vague de frisson parcourt ma colonne.

Quel bel enfoiré. Il s'est foutu de notre gueule, depuis le début.

Et il a eu les couilles de tirer sur Aaron, en le regardant droit dans les yeux, sans même hésiter.

Je veux le voir mort. Je veux le tuer. Lui, Henrick, et tous ces fils de putes.

- Il nous a bien eu, c'est clair... Luke avait raison. Ils auraient dû le buter dès le départ, je ne l'ai jamais senti. Marmonne le jeune homme, continuant de m'observer, les paupières légèrement plissées.

Contrairement à sa sœur, les yeux d'Enzo sont sombres. Un marron foncé, et intense. Une nuance dans laquelle je peux lire une vague de haine et de violence combinée.

- Je doute que tu aies déjà bien senti quelqu'un un jour.

Il esquisse un léger sourire en coin, et appuie sa tête contre la vitre derrière lui.

- Pas vraiment.

J'inspire profondément, et ferme les yeux quelques secondes, acculée par les évènements.

Comment ma vie a-t-elle pu basculer à ce point ?

Aaron savait pertinemment l'issue de ce combat. Il savait qu'il ne reviendrait pas.

Et je le déteste pour cela. Nous aurions pu partir loin, et commencer une nouvelle vie.

- Il va falloir que l'on retourne au siège. Personne ne sait qu'on est vivants.

Je rouvre les yeux, bien malgré moi.

- Depuis combien de temps sommes-nous ici ?

- Tu t'es évanouie quand on est sortis du bâtiment. Les flics allaient nous encercler, alors j'ai roulé un bon bout de temps... Explique-t-il en secouant la tête.

La nuit est tombée autour de nous, alors que l'attaque contre Henrick et ses hommes s'est déroulée à l'aube ce matin. Je suis restée inconsciente un sacré moment.

- Rentrons alors. Il est temps d'affronter la réalité... Soufflais-je en me redressant sans réelle motivation.

Enzo acquiesce et grimpe à l'avant du véhicule pour s'installer sur le siège conducteur.

Je demeure là, installée à l'arrière, le regard rivé sur le sang séché qui recouvre mes mains. Le sang d'Aaron.

Je te retrouverais. Tu n'es pas mort. Je le sens.

Yours (Tome 2)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant