Les Mouettes aux Ailes Rouges

22. L'Émissaire

XXII.

Silencieuse, parfaitement immobile, sa jumelle était bel et bien en train de lui faire face. Elle portait la robe claire et déchirée de ses cauchemars et avait les mêmes immenses cheveux noirs qu'elle.

La carrure frêle et le visage cicatrisé, les deux sœurs se confondaient vraiment pour la toute première fois.

L'empoisonneuse n'était plus le petit garçon négligé. Elle n'était plus la docile carapace sur laquelle se défouler.

— Tu as changé.

L'alchimiste se crispa immédiatement en l'entendant.

Jamais quelque chose n'avait été émis d'une telle façon. Le son de sa voix était écrasant. Projetés jusqu'à elle à longue distance dans un angoissant et profond écho, ses mots résonnèrent à plein volume dans son esprit. Sa parole, invasive et oppressante, était une arme à elle seule.

Sola se tenait au loin, mais elle l'entendit comme si celle-ci se tenait derrière elle, juste dans le creux de son oreille.

Impossible pour Ansol de trouver la force de lui répondre. La peur, dans sa plus virulente forme, s'était emparée de son corps.

— Où est mon petit frère ?

Les vibrations de sa voix la firent tressaillir. Reculant d'un pas, elle comprit tout de suite où Sola essayait de l'emmener. Où était passé Cesyll ? Qu'était-il arrivé au monde autour d'elle ?!

— Où est le petit garçon ?

— Je ne l'ai jamais été, répliqua-t-elle enfin.

Silence.

Un long, pesant silence. Ansol déglutit et ne la lâchait jamais du regard. Elle ne connaissait rien de cette sœur, de cette entité venue la tourmenter.

— Je t'ai tué, reprit l'alchimiste, tout bas.

— Il me manque, ce petit garçon.

La voix du Deux martelait son esprit. L'alchimiste dû faire preuve d'une concentration démesurée pour ne pas se laisser écraser par Sola.

— Il n'a jamais existé !

— Il adorait mes coups.

L'expression d'Ansol se durcit. La gorge nouée, la peur monstre venue la torturer se transforma en rage. Car la jumelle pensait encore pouvoir la briser.

— Que veux-tu ?

Sola fonça sur elle.

L'empoisonneuse eut à peine le temps de cligner des yeux qu'elle vit son reflet se poster devant elle en un éclair. Terrifiée par ses mouvements, elle sursauta et manqua de peu de tomber en arrière. Nez à nez avec elle, elle vit enfin son étrange visage.

Parfaitement identiques, l'alchimiste se laissa surprendre par cette ressemblance qu'elle constatait pour la première fois. Sa peau, cependant, était d'un blanc-bleu cadavérique. Ses yeux était aussi noir que le fond de la mer, identique à ceux des Destinés mais sans leur lumière.

Malgré son apparence humaine, on devinait rapidement qu'une entité vibrait à l'intérieur. Un démon vivait en elle.

Immobile face à elle, Ansol bougea très lentement sa main pour tenter d'atteindre le glaive offert par Cesyll.

— Tu es prête, Ansss-ol.

Ses mots la stoppèrent dans son élan. La langue de Sola fourchait comme celle d'un serpent. Sa voix n'était plus qu'un souffle froid.