Ces derniers jours n'ont pas été aussi mouvementés que je le pensais. Nouveaux professeurs, nouveaux camarades, nouvelles méthodes, nouveau rythme, nouvelles libertés, nouvelles contraintes... Mais ce n'est pour le moment pas aussi chaotique que mon début de collège.
Ce que je craignais n'est pas arrivé autant de fois que je le craignais. Mes camarades de classe m'ont posé quelques questions sur mon ordinateur. Un garçon a râlé que c'était injuste, mais notre professeur principal l'a vite fait taire. Non, ce n'est pas un caprice, non je ne peux pas m'en passer sous prétexte que les autres doivent utiliser des copies doubles grand carreaux et non, je ne m'en sers pour jouer à des jeux en ligne pendant que les autres prennent des notes.
Les autres enseignants ont été aussi respectueux et j'ai reçu, en plus d'une place réservée du côté des prises, une photocopie de chaque première leçon. Miss Ulrich, notre prof d'anglais - comme son nom ne l'indique pas vraiment, m'a même donné une version déjà adaptée de son programme annuel, mis en page et coloré à la façon de mon logiciel. De quoi me faire gagner du temps après l'école. Je sais que ça ne fera pas miraculeusement bondir ma moyenne générale, mais j'apprécie toutes ces attentions. J'ai l'impression d'être un peu plus à l'aise.
Après une semaine et deux jours, je me sens presque prête à affronter le dragon qui m'attend.
Je l'entends ronfler dans la grotte sinistre que les lycéens nomment « amphithéâtre ». Des filets de fumée s'échappent de son antre à intervalles réguliers, signe de sa présence. Il dort. Je dois le réveiller mais... j'ai peur d'approcher. Autour de moi, une forêt épaisse a remplacé le palais aux têtes couronnées et ses jardins luxuriants. J'ai beau être armée, mes jambes refusent d'avancer. Je piétine dans la boue de ces marécages. Et ce n'est pas de la faute de mon armure. Cotte de maille, plastron, heaume, épée et bouclier. Largement de quoi me défendre, et pourtant...
Je suis seule. Mon fidèle ami ne semble pas encore tiré de sa précédente aventure. Loïc a-t-il des ennuis avec les mages-chimistes ? L'appel du cor a pourtant retentit il y a déjà quelques minutes. Je reste en repli stratégique près d'un arbre quand les premiers sbires du monstre arrivent en piaillant. Une meute de gobelins, pas spécialement menaçants... mais il ne faut jamais se fier à ces créatures. Elles s'engouffrent d'un même mouvement dans la caverne.
— Allez... je murmure pour me donner du courage.
Je me faufile dans leurs traces à pas de loup et me glisse à l'intérieur juste avant que la lourde porte claque.
Enfermée.
Il fait sombre. Une immense cape couvre le dos de la bête. Je me faufile le long de ses pans pour observer sans être vue. Le velours rouge frémit alors qu'elle racle sa gorge. Les autres créatures cessent de s'agiter quand il grommelle quelques mots dans son langage. On a rarement vu un dragon dresser une liste de courses... j'en déduis donc qu'il leur annonce sa prochaine stratégie de domination de l'univers.
J'inspire. Je souffle. Mes paumes sont moites sous mon armure. Pourquoi ai-je si peur ? Je suis forte. Je suis capable. Un petit monstre de rien du tout, ça ne devait pas faire si mal ! Personne ne m'a vu. Je peux profiter de l'effet de surprise pour faire une entrée fracassante et remporter haut la main ce combat.
— T'es la nouvelle ?
Je sursaute. Mes pieds s'emmêlent dans les rideaux alors que je me tourne vers la voix. Le tissu glisse sous ma semelle et m'envoie valser le nez contre le plancher.
La lumière des projecteurs me chauffe à l'arrière du crâne. Le silence stupéfait de l'assemblée me chauffe les joues. Entrée parfaite. Je n'aurais pas pu rêver pire. Adieu le dragon, ses sbires, la caverne pleine d'or et la mission à accomplir. Adieu ma chevalerie. Quand un vague murmure me parvient depuis les fauteuils du premier rang, je comprends que la seule demoiselle en détresse ici, c'est moi. Et personne ne peut me sauver de la honte qui m'envahit.
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Juliette Juliette(s)
RomanceAu lycée des Étourneaux, le professeur Delombart s'est fixé un objectif surprenant : monter la plus célèbre pièce de Shakespeare avec une troupe totalement féminine. Quand il place l'intrigante Ewen dans le rôle de Roméo, Juliette, fraîchement débar...