Chapitre 5 : L'œil sous les vagues

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Le lendemain matin, Cerena s’éveilla avec une étrange sensation d’impatience dans le ventre. Elle se leva sans bruit et ouvrit la fenêtre de sa chambre. L’air salé entra doucement. La mer était calme, mais elle semblait les attendre.

— Tu penses qu’elles vont revenir ? demanda Merliana en la rejoignant, les yeux encore mi-clos.

— Je crois. Je le sens.

Sans rien dire de plus, elles enfilèrent leurs maillots, prirent leurs serviettes, et descendirent à la plage.

Le sable était tiède sous leurs pieds, et l’eau, claire et douce, les accueillit sans résistance. Elles n’avaient pas encore mis un pied dans l’eau qu’une tête surgit :

— Vous êtes venues ! s’écria Lysana.

— Bien sûr, sourit Cerena.

Nayla apparut à son tour, plus discrète, mais le regard doux.

— On n’a pas beaucoup de temps. Les courants changent bientôt, on devra repartir avant le coucher du soleil.

— Pourquoi ? demanda Merliana.

— Parce que certaines choses dans l’océan n’aiment pas que des sirènes traînent près de la surface. Et encore moins… près des humains.

Cerena voulut poser une question, mais Lysana lança :

— Venez, on va vous apprendre un jeu marin !

Pendant une bonne heure, elles s’amusèrent comme jamais. Nayla leur montra comment faire rebondir de petites méduses sans se piquer. Lysana leur apprit à retenir leur souffle en comptant les bulles d’écume. Elles riaient, s’éclaboussaient, et nageaient en rythme.

Puis Nayla demanda :

— Vous avez une famille ? Des parents ?

Les sœurs se figèrent un instant.

— On vit avec notre grand-père, dit Merliana. Mais il a… disparu.

— Disparu ? s’étonna Lysana. Comment ?

— On pense qu’il a été enlevé.

Un silence pesa entre elles. Nayla fronça légèrement les sourcils.

— Par qui ? murmura-t-elle.

— On ne sait pas. Mais... Cerena a touché un coquillage noir. Et elle a vu une sorte de prison d’eau.

Lysana et Nayla échangèrent un regard inquiet.

— Il faut faire attention, dit Nayla doucement. Il y a des choses dans les profondeurs qui ne dorment jamais longtemps.

Cerena voulut en savoir plus, mais Nayla détourna le regard, mal à l’aise.

— On en parlera un autre jour.

Un peu plus loin, sous une crevasse rocheuse, quelque chose les observait.

Invisible aux yeux des filles et des jeunes sirènes, une créature sombre, mi-corail, mi-ombre, rampait sous l’eau. Elle n’avait pas de visage, mais un œil unique, rond et pâle, flottait au centre de son corps comme un globe vivant.

Elle n’attaquait pas. Elle regardait.
Et tout ce qu’elle voyait, Aurélie le voyait aussi, depuis son trône froid au fond des abysses.

Dans une sphère obscure, la sorcière sirène gardait ses doigts tendus, connectés à la créature.

Elle vit les sourires. Elle vit les jeux. Et elle vit surtout les regards confiants entre Cerena, Merliana, Lysana et Nayla.

— Ainsi… elles ne sont plus seules, murmura-t-elle.

Un mince sourire tordit ses lèvres.

— Mais elles ne savent toujours rien. Et tant qu’elles ignorent la vérité… elles sont encore faibles.

Elle ferma la main. L’œil de la créature se referma. Et l’ombre glissa plus près, sans bruit.

Le soleil commençait à décliner. Nayla s’agita soudain.

— Lysana… tu sens ça ?

Lysana se tourna brusquement. Ses pupilles se rétrécirent.

— Quelqu’un nous regarde.

— Il faut partir.

— Déjà ?

— Maintenant.

Nayla prit la main de Merliana.

— Écoute-moi bien. Si un jour vous êtes en danger, rejoignez le grand rocher aux algues rouges. Toujours. On vous y attendra.

— Quoi ? Mais pourquoi ?!

— Pas maintenant. Allez !

Les deux sirènes plongèrent, leur queue scintillant une dernière fois sous les rayons dorés du soir.

Cerena et Merliana restèrent figées un moment.

Puis, comme un souffle glacé, elles sentirent une présence invisible derrière elles.

Mais quand elles se retournèrent… il n’y avait rien.

Le soir venu, de retour à la maison, elles n’osèrent pas se parler tout de suite.

Enfin, Merliana murmura :

— Tu penses qu’on est suivies ?

— Oui, répondit Cerena. Mais je pense… que tant qu’on est ensemble, rien ne pourra nous faire de mal.

Elle prit la main de sa sœur, et regarda la mer noire par la fenêtre.

Elles ne savaient pas encore que, dans les abysses, Aurélie préparait déjà son prochain mouvement.

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