Les Contes d'Almyre

Venue et Aller d'un Magicien

Délia Archer savait que la magie n'existait pas.

Elle n'était encore qu'une enfant, mais elle en était sûre. Qu'importe ce qu'elle pensait voir ou ce qu'elle croyait pouvoir faire : la magie n'appartenait pas à ce monde. Une évidence pour son entourage, et sa famille en particulier qui lui répétait sans cesse d'ignorer tout ce qui sortait de l'ordinaire.

Délia avait appris à prétendre et à faire semblant, car, si elle était parfaitement honnête... Elle voyait. Cela, elle l'admettait à regret. Elle voyait sans croire, mais voyait quand même. L'étrange et l'effrayant ; les spectres, les fantômes et les formes tapis dans l'ombre. Un curieux désordre de créatures qu'on aurait pu croire sortir d'un mauvais rêve d'une nuit qui ne finissait pas.

Délia aurait été incapable de dire quand elle avait pris conscience de ses visions, ce dont elle se souvenait c'était les réactions horrifiées de sa famille et amusées de ses camarades de classes quand elle avait abordé la question, au départ avec beaucoup d'innocence. Delia se demandait ce qu'était ses créatures, comme elle aurait pu demander pourquoi le ciel était bleu. Elle avait rapidement compris qu'elle était le seul témoin de ces scènes inquiétantes. Et puisqu'elle était seule, elle se trompait - forcément. Elle devait être victime de son imagination ou d'un quelconque malentendu comme lui martelait avec conviction son père, Tom Archer.

Délia ne voulait pas vivre dans ce monde étranger. Elle était fatiguée de se méfier des ombres et de l'inconnu. Prétendre lui apparaissait comme la meilleure des solutions, craignant que le monde réel la rejette si elle continuait à le questionner.

A l'âge de 8 ans, alors qu'elle ne prêtait plus attention aux chimères qui croisaient son chemin, Délia allait faire une rencontre qui allait changer à jamais sa conception du monde.

C'était un matin ordinaire, une brûlante journée d'été. Délia passait habituellement ses vacances dans la vieille ferme familiale que sa tante Vera occupait seule à l'année. Tante Vera était une femme sévère et silencieuse, elle parvenait à se montrer désagréable en toutes circonstances, mais Délia appréciait chacune de ses visites à la ferme, car la vieille bâtisse était entourée d'un immense parc qui lui servait d'espace de jeu.

C'est en flânant autour de la ferme après déjeuner ce jour-là que Délia aperçut une drôle de lueur dans le ciel. Comme une boule de feu qui survolait les collines au nord du domaine. Délia l'avait suivi des yeux jusqu'à la voir s'écraser silencieusement un peu plus loin derrière le bois qui s'élevait à quelque mètres du bâtiment.

Elle avait alors hésité ; prévenir sa famille n'était pas la meilleure idée, il pouvait s'agir d'une illusion mais le côté inédit du phénomène avait piqué sa curiosité. Sans trop y réfléchir, elle se mit à marcher vers le bois, elle dut parcourir un bon kilomètre avant d'atterrir sur les rives d'un petit étang. C'était un endroit paisible et isolé, aucune trace de lueur flamboyante, à la place elle fut surprise de rencontrer un vieil homme étrange.

Il flottait tranquillement au-dessus du sol, manipulant avec soin d'antiques parchemins. Bien que le spectacle fût des plus étonnants, Délia s'était contentée de l'observer de loin jusqu'à ce qu'il la remarque et s'approche pour se présenter.

Resrensa (c'était son nom) se disait être magicien et à la recherche d'une créature immortelle qui vivait dans les points d'eau, il lui en fit une description assez précise espérant qu'elle pourrait le renseigner ou peut-être le diriger vers d'autres magiciens de ce pays. Quand Délia lui répliqua avec assurance que de telles choses n'existaient pas ; le vieil homme l'avait observé avec étonnement, puis il s'était esclaffé avant de lui faire la démonstration de ses propres pouvoirs. Captivée, Délia apprit ce jour-là à accepter cette partie du monde qu'elle avait cru impossible.