Haine

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Et je la hais.

Oui, je crois que je la hais.

Je les hais elle et son rire trop aiguë, ses décibels hautes à en percer les tympans. D'un éclat de voix, elle éteint les discussions d'une pièce. Elle impose son rythme, sa mélodie dans un orchestre déjà en marche. Disharmonie cacophonique entraînée par son bonheur égoïste.

D'un rire elle intrigue; les conversations se haltent et on lui demande

pourquoi tu ris

dis nous tout !

on veut connaître la raison de ta joie, mieux !

on veut rire avec toi, c'est plus fort que nous.

Sa parole alors devient gospel, divin discours auquel tout le monde s'accroche. On opine à son explication, on rit à sa voix tressautant - elle se souvient de la blague et forcément, elle recommence à pouffer - mais jamais on ne se moque. Le plus affreux des bonhommes reconsidérerait la moindre pensée infâme en sa compagnie, ah ! Une telle douceur, ça se chérit. A sa seule présence, on sent le cœur se mollifier, on se fait gentil alors dans le but seul qu'elle nous sourit. Ainsi on se sentirait repenti de nos pêchés.

Et une soirée entre potes devient séminaire, ou atelier bien-être. Ca s'assoit au sol en ronde, pelotonnés les uns contre les autres, les têtes levées sur sa forme menue assise en tailleur au bord du canapé. Elle surplombe ce groupuscule de jeunes adultes redevenus petits enfants de maternel en train d'attendre le conte avant la sieste.

Ils ne lèvent pas encore la main pour demander la parole, mais on y serait presque.

Dans ces moments-là, je n'ai qu'une idée en tête tandis que je sirote mon soda, l'air moribond. Je penser à me lever, scinder le groupe d'adultes en transe, me jouer Moïse en blasphème tant qu'à faire.

Là je me tiendrai devant et plus haut qu'elle. De ma silhouette rachitique, trop osseuse pour être considérée jolie, je la surplomberai. Gentille et mièvre, elle me flasherait un sourire, me demanderait si je veux m'assoir à côté d'elle - comme si j'avais besoin de sa permission ! -, ce à quoi je secouerai la tête. Mes épaules se soulèveraient pendant une grande inspiration, puis je lui sauterai dessus.

Pour l'effet de surprise. Son petit hoquet étonné servirait de carburant puissant à ma motivation.

Je lui enserrerai alors la gorge de mes mains. Mes doigts glisseraient sur sa peau diaphane sans marques disgracieuses, sur cette peau qu'on a chouchouté, baisé, caressé, et je serrerai, euphorique d'être la première et dernière à y apposer ma signature. Je l'étoufferai lentement, afin d'admirer mon reflet déformé par la haine dans ses prunelles bleues ciel. Je me trouverai belle alors même si mon teint est blafard, même si mes joues sont constellées par les boutons d'acnés. Moi, toute petite, avec mes cheveux bruns désordonnés, mon nez tordu et mes yeux noisettes asymétriques, je serais ravissante dans le reflet de sa douleur.

Je le sais.

J'imagine sa voix claire, comme celle d'un oiseau chanteur, crachoter des syllabes déformées et rauques de ses lèvres roses. Ses longs doigts fins viendraient tirer sur les manches de mon tee-shirt, griffer ma peau pour y laisser des plaies sanguinolentes - un trophée ni plus ni moins - à l'aide d'ongles manucurés, colorés en l'honneur de la cause LGBTQIA+.

Et ça sera à mon tour de rire ! De rire fort, de rire aiguë, de rire à en étouffer ses supplications étranglées, de rire par-dessus les sons gutturaux provenant de sa gorge, et je rirai de joie, mes prunelles toujours rivées dans les siennes, à présent exorbitées !

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⏰ Last updated: Mar 07, 2023 ⏰

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Recueil informel et informeWhere stories live. Discover now