Chapitre 19 : Questionnements

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BÉTELNEUVE –


Par cette suffocante fin d'après-midi, la place Asterope devenait un havre d'ombre et d'oisiveté. À l'ombre des parasols, les terrasses des cafés étaient bondées. Les librairies et le cinéma qui les entouraient en faisait un cadre propice aux moments de détente. Pourtant Kaya, installée à la table de l'Éclat devant une citronnade au gingembre, ne parvenait pas à se débarrasser de l'anxiété qui lui picotait les nerfs. La fatigue se plantait en une tension continue derrière ses paupières. Entre la descente tardive du mercure et les différentes sources de stress qui la préoccupaient, ses nuits n'en finissaient pas de raccourcir.

Les reflets du soleil sur les jets de la fontaine Asterope, érigée sur l'ensemble d'un mur pignon, la captivaient. Elle connaissait par cœur ces statues de bronze oxydé, Asterope l'Hágios terrassant Euphorbe l'Aratos, sur fond d'arc monumental, encadrés d'un phœnix et d'un basilic crachant de l'eau. Magnifiée par les bas-reliefs de rinceau au-dessus d'elle, Asterope, grande et puissante, enfonçait une lance de lumière dans le ventre gras d'Euphorbe, renversé dans une posture terrifiée. Le combat mythique d'une Aster élevée au rang de sainte, contre un Aster maudit.

Le regard distraitement fixé sur les prismes lumineux qui dansaient sur la fontaine monumentale, Kaya chercha à se rappeler si elle avait bien pris son traitement ce matin-là. Sur l'instance d'Isaac trois jours auparavant, elle s'était résolue à le reprendre, or il fallait compter plusieurs semaines avant que ses cachets ne fassent pleinement effet. D'ici là, elle demeurait vulnérable.

— T'es encore avec moi, ou... ?

Tirée de ses divagations, la jeune femme se frotta le visage en grognant. Face à elle se tenait Raphaëlle Vessarias, les lèvres enduites de rouge à lèvre, une collection de bagues aux doigts, les épaules nues. Elles s'étaient rencontrées à l'occasion d'une soirée, deux ans auparavant. Kaya entamait alors sa première année en école de photographie, tandis que Raphaëlle venait de passer son concours d'entrée en école de théâtre. La sociabilité décomplexée et le dynamisme de la blonde avaient tout de suite plu à Kaya. Leur complicité avait été scellé par le désir d'émancipation qu'elles partageaient, toutes deux issues de familles Achernar.

Elles s'étaient plongées ensemble dans la frénésie de la vie étudiante, dégottant les meilleures soirées, écumant les boîtes. Si bien qu'elles décidèrent dès la fin du premier semestre de prendre une colocation ensembles. Kaya n'avait été que trop soulagée d'échapper à sa mère, qui ne lui réservait plus que des remarques dénigrantes et des sermons condescendants. Sabine Terebros lui faisait constamment payer le fait de n'être pas devenue l'esthésive accomplie qu'elle avait voulu faire d'elle, et d'avoir préféré ses études à la voie de prestige et corruption qui l'attendait au sein de la Constellation Achernar.

— Ouais pardon, tu me disais que Andreas est toujours autant infantilisé...

— Ah mais vraiment ! s'emporta Raphaëlle. Tu verrais tout ce qu'il dépense alors qu'il sait à peine d'où vient l'argent ! Puis il fait pas franchement d'effort pour travailler son Arété, mais à la limite je le lui reproche pas, tu sais que je respecte ça. Sauf que mon père a l'air de s'en foutre totalement, alors que moi je me serais pris une gifle à cet âge-là ! Et après mon frère vient chouiner parce qu'on le laisse pas venir aux rencontres...

Kaya sirota sa boisson fraîche tandis que son amie déblatérait sur le traitement de faveur que recevait son cadet. Âgé de dix-sept ans, quand Raphaëlle en avait vingt, Andreas était le petit dernier de la fratrie Vessarias. Là où sa sœur avait dû subir une pression à l'excellence constante, il se trouvait beaucoup plus épargné par les attentes familiales.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant