Chapitre 2 : Sevran

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Départ

Date : 1er septembre 2020

Lieu : Maison Gioradano « Le Domaine »

Participants : Bernard, Véronique

Rappel : Aucun


— Hippolyte, on t'attend pour manger.

Le ton de Bernard est dur, pour un samedi tranquille en famille. Il suffisait de me prévenir avant... songe le jeune homme en se levant avec souplesse de son lit d'emprunt. La silhouette athlétique et le teint hâlé par le soleil d'été, Hippolyte a profité des grandes vacances pour se remettre en forme. Séances de musculation quotidiennes, course à pied, autant d'échappatoires à l'ambiance morose qui règne dans la maison.

Arrivé à la porte, il jette un dernier regard en arrière – il ne parvient pas à se résoudre à considérer cette pièce comme « sa » chambre. Clairement, il n'est pas le bienvenu ici. D'ailleurs, il n'a pas choisi de venir. Il ne veut pas blesser sa mère, alors il dit toujours « ma » chambre. Son grand-père Bernard, cependant, souligne trop souvent que ce n'est que la chambre d'amis.

La pièce est du reste parfaite pour des invités : systématiquement propre et rangée, impersonnelle, aucun poster aux murs, pas même un cadre photo. Hippolyte a placé ses affaires dans l'armoire libérée pour lui, mais la commode ainsi que la table de nuit renferment encore celles de Bernard.

Dès le premier jour, il a fouillé, mais évidemment, le vieux rusé n'avait pas oublié de fermer un seul des tiroirs à clé. La chambre est prête pour le départ de son hôte, se figure le jeune homme. Il est grand temps qu'il se fasse entendre et mette au point un moyen de disparaître. Si sa famille persiste à ne pas vouloir l'aider, il n'aura plus qu'à fuguer. Il trouvera bien de quoi se loger chez des copains sur un canapé, ou pire, dans une nouvelle chambre d'amis.

Ses résolutions bien en tête, Hippolyte dévale les escaliers, assez bruyamment pour que Bernard remarque son action-réaction, comme dirait justement son grand-père.

— Bien le bonjour, lance-t-il en s'arrêtant devant la cuisine.

Sa mère se tient face à lui, une belle dame à la peau noisette, au visage doux et à l'air fatigué sous de grands cils noirs. Comme s'il avait peur de la brusquer, l'adolescent dépose un léger baiser sur sa joue et profite de la distraction pour lui prendre des mains un saladier destiné à la salle à manger.

Hippolyte traverse un couloir richement décoré des différents trophées touristiques de son grand-père. Il les connaît par cœur depuis l'enfance. À droite l'Afrique, puis les Amériques, avec des masques de bois, des instruments de musique, des tableaux. À gauche l'Asie, puis l'Europe, avec des assiettes peintes, de délicates broderies. Partout, des photos de ses grands-parents qui ont l'air si heureux. Il peine à reconnaître ce Bernard qu'il n'a jamais vraiment connu.

Hippolyte parvient jusqu'au salon. Son grand-père est déjà installé en bout de table, à la place du chef. Assis bien droit sur sa chaise, les mains sur les genoux. Son regard gris d'acier est fixé sur la nappe devant lui. Hippolyte se demande comment le vieil homme faisait pour le service avant que sa mère et lui n'emménagent. Attendait-il tout seul, comme ce midi, que les plats viennent à lui ? 

Tout en déposant le saladier, l'adolescent risque un coup d'œil vers la grande baie vitrée qui donne sur le jardin. Il fait particulièrement beau ce week-end de septembre. Le soleil filtre avec force à travers le manteau encore vert des arbres.

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