Chapitre 4

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« Je refuse que la peur de l'échec m'empêche de faire ce qui m'importe vraiment »

Emma WATSON

    J'enfilais mon justaucorps crème dans les vestiaires lorsque j'entendis le son caractéristique d'un verrou qui se ferme, suivi d'une horde de rires hystériques. Un mauvais pré-sentiment se logea au creux de mon ventre. J'étais seule dans les vestiaires et assez isolée des studios pour qu'on ne puisse m'entendre si j'élevais la voix. Et j'avais ma première répétition pour le rôle d'Odette, avec Arsène, dans dix minutes.

    Madame Ivanovich ne tolérait pas les retards. Je n'avais même pas besoin de vérifier le verrou pour savoir que j'étais enfermée et sûrement pour un long moment. Juliette jouerait toutes ses cartes pour m'empêcher d'avoir ce rôle, jusqu'au bout, exactement comme elle l'avait fait en première année quand j'avais eu le rôle de Clara.

    Je me rappelle de mon excitation à l'idée d'interpréter Clara, de toutes ces heures de répétition avec Arsène qui jouait Fritz, le petit-frère de Clara, et Juliette qui jouait la fée Dragée. J'adorais travailler avec Arsène, à cette époque déjà il était calme, patient, résilient mais aussi exigeant. Je m'abreuvais de toutes ces qualités qu'il avait et que je ne possédais pas toujours. Ma naïveté m'avait empêché de voir au-delà de la fausse sympathie de Juliette.

    Je nous croyais amie. Elle me haïssait pour avoir eu le rôle qu'elle convoitait.

    Le jour de la représentation, elle m'enferma dans une loge technique, bien trop loin des loges des danseurs pour me faire entendre. Personne ne m'avait jamais cru, et comment y croire ? J'étais la fautive qui ne s'était pas montrée et avait obligé les rôles à être modifiés à la dernière minute. Comment Juliette aurait-elle pu ruiner le spectacle et se mettre dans une position si délicate ? Un être si sensible et fragile qu'elle n'aurait jamais pu faire une chose pareille.

    La plupart de mes concurrentes pensait déjà que j'avais obtenu une place à l'école grâce à mon nom et pas mon talent. Je ne voulais pas que les professeurs prennent mon partie et que je me retrouve seule. Au final, j'étais la risée de toute la division. Tout le monde m'avait tourné le dos, et les rumeurs avaient débuté. Ce jour-là, je m'étais jurée de ne plus jamais laisser une quelconque relation entraver mes objectifs. Je ne faisais plus confiance à personne et je préférais évoluer seule.

- Je la hais, marmonnai-je en fixant le verrou des yeux.

    Impossible de l'ouvrir avec une barrette, il ne fonctionnait pas assez simplement pour que je m'y essaye. Je savais que Juliette tenterait de me mettre des battons dans les roues et j'aurais dû le voir venir plus vite en sortant mes pointes, déjà cassées, de mon casier alors qu'elles étaient neuves. Elle s'était donnée du mal pour rien puisque je n'avais pas encore l'accord de madame Ivanovich pour les remettre. Tout de même, cela annonçait la couleur. Dès le premier jour, elle tentait déjà de me discréditer. Toutes deux savions amplement que si je venais à être incapable de danser ce rôle, il lui reviendrait.

    Je ne laisserai pas un tel scénario se produire, plutôt mourir. Pour autant, je ne pouvais pas enfoncer la porte pour sortir et je n'avais pas les numéros de téléphone d'Arsène et madame Ivanovich, soit aucun moyen de contacter quelqu'un qui pourrait m'aider. Je pris mon mal en patience en tournant en rond dans le vestiaire. Je passais en revue toutes les manières dont je pourrais assassiner Juliette : brulée vive, noyée au fond d'un lac gelée, jetée aux lions pour voir son corps souple démembré, jetée sous les rails d'un train ou encore étouffée de mes propres mains.

    Une clef s'inséra dans la serrure et la porte s'ouvrit sur madame Ivanovich, le visage stoïque comme de la pierre.

- Rubis, nous t'attendons depuis une demi-heure.

l'Opéra : le lac des cygnes (Terminé)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant