Chapitre 1 - Alma

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De nos jours.


   Les yeux à moitié ouverts, je m'efforce de mettre un pied devant l'autre pour sortir de l'aéroport. Une fois les portes dépassées, je m'arrête un instant. Je reprends mon souffle, je ne suis pourtant pas chargée... J'ai pour seul bagage ce sac à dos que je traîne avec moi depuis dix ans. Ces morceaux de tissus kaki contiennent toute ma vie. C'est à dire pas grand chose.

Bercée par mes rêves et surtout par le manque d'ambition concernant mon avenir professionnel, j'ai décidé à mes dix huit ans de parcourir le monde. J'ai pensé naïvement que cela ne durerait que quelques mois mais...Une aventure en appelle une autre.

Il y a dix ans, j'ai dit au revoir à ma famille. En vérité, je n'avais que mes parents et ma meilleure amie, Lily. C'était eux ma famille. J'ai donc pris un billet pour Londres et je me suis envolée, pour mon plus grand bonheur.

Mes parents n'étaient pas contre cette idée, même si savoir leur fille unique dans un autre pays les terrifiait au plus profond d'eux. Mais ils m'ont toujours laissée faire ce que je voulais.

En dix ans, j'ai parcouru des milliers de kilomètres à pied, en avion, en bateau, rencontré des gens géniaux, changé une trentaine de fois de job. Je reviens tout juste d'Australie où j'ai passé les six derniers mois. J'ai quitté avec une pointe de nostalgie mon petit job de serveuse dans un bar huppé de la capitale.

A mon grand regret, je n'ai pas pensé à prévoir l'écart de température entre là-bas et Paris. Me voilà donc en short et t-shirt, en plein mois de décembre. Bien joué Alma.

Toutes ces années de liberté et d'insouciance m'ont remplie de souvenirs. Mais il y a désormais un vide dans mon cœur qu'aucun voyage ne pourra plus jamais combler.

   A cette même période de l'année, il y a un an, j'ai perdu mes deux parents dans un accident de la route. Je n'ai même pas eu le temps de leur dire que je comptais revenir. Ils sont partis sans avoir pu profiter de leur fille, qui égoïstement préférait faire le tour de la planète.

Et je m'en veux terriblement.

   Je reprends mon chemin, poussée par les gens que je dérange, plantée là dans mes pensées, devant l'une des grandes portes. Je suis à la fois soulagée d'être rentrée et angoissée. J'ai prévu de retourner dans le petit village de mes parents, situé à une trentaine de kilomètres de Paris. Lily m'a proposé de venir me chercher mais j'ai préféré vivre ce retour seule.

L'idée de me retrouver dans la maison de mes parents dans la plus grande solitude ne m'enchantait guère mais je m'y voyais encore moins y être accompagnée. C'est désormais l'un des seuls souvenirs que j'ai d'eux, cette maison. Longtemps je me suis demandée si je devais la garder ou bien la vendre. Je n'ai pu me résigner à laisser des étrangers vivre dans la maison où j'ai grandi.

   Je continue de marcher tout en vérifiant mon portable. Un taxi devrait m'attendre et me déposer à la maison. Il n'y a pas énormément de monde à cette heure ci. Les passagers du vol qui ont atterri en même temps que le mien passent les portes à leur tour, cherchant eux aussi d'un regard pressé leur taxi.

Je soupire, regardant les familles, le sourire jusqu'aux oreilles, monter dans les voitures. Je sens une vague de tristesse me submerger. J'ai eu beaucoup de mal à faire le deuil de mes parents. La douleur est toujours là. Le regret de ne plus jamais nous voir réunis me hante davantage, d'autant plus quand je suis confrontée au bonheur des autres.

   Je me tiens là, sur le rebord d'un trottoir, grelottant à moitié. Allez dépêche toi, s'il te plaît. Soudain,  un gros coup dans mon dos me pousse en avant, comme si quelqu'un m'avait percutée violemment. Une valise tombe à mes pieds. 

Les gens pourraient regarder où ils vont quand même.

Encore un qui avait les yeux rivés sur son foutu téléphone.

- Je suis désolé, j'étais au téléphone, je ne vous avais pas vue, je suis vraiment désolé, me dit un homme complètement affolé.

Qu'est-ce que je disais... Encore un de ces zombies incapables de se détacher de leur portable.

Mais attends. Cette voix...

L'homme s'arrête de parler, je sens son regard fixé sur moi, dans mon dos. Je n'ose pas lui faire face et je peine à relever les yeux toujours rivés sur sa valise noire, couchée sur le trottoir.

Ça ne peut pas être lui, c'est impossible. Qu'un seul moyen de vérifier ma fille, allez, respire et lève les yeux.

Les secondes me paraissent soudain des heures. Tout doucement, je me retourne et je lève mon regard vers cet homme qui se tient juste en face de moi désormais. Mon estomac se retourne alors que je le vois me regarder droit dans les yeux.

Je connais ces yeux là, ces yeux d'un bleu roi magnifique. Plus d'une fois j'ai plongé dedans manquant de m'y noyer. Même les couleurs des océans ou des mers que j'ai pu traverser au cours de ces années n'auraient pu me les faire oublier.

- Rafael, qu'est-ce que...

Souviens toi de nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant