Chapitre 1.2 - Alma

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De nos jours.


   Les mots suivants m'échappent, retenus par le choc qui m'envahit soudainement. Il ne répond pas, visiblement sans voix lui aussi, devant cette rencontre surprise. Ses yeux bleus me transpercent de part en part, me faisant me sentir nue comme un vers.

Le sol se dérobe sous mes pieds. Ma bouche est sèche. Je suis incapable de réfléchir convenablement et de remettre de l'ordre dans mes pensées qui s'entrechoquent avec fracas dans mon esprit. Seul mon estomac parait fonctionner, trop bien même. Des milliers de petits fourmillements le remplissent peu à peu, provoquant une drôle de sensation.

C'est bien lui.

Je ne sais pas combien de temps on est restés là, à se regarder bêtement. Il a l'air aussi mal à l'aise que moi, agrippant fermement la valise qu'il vient de ramasser.

C'est lui.

Même cheveux bruns en bataille, même barbe naissante. Il n'a pas changé. Il paraît toujours aussi musclé sous son blouson noir. Sa mâchoire se contracte, essayant de faire sortir les mots emprisonnés dans sa bouche.

Si il ne parle pas, je crois que je pourrais m'enfuir en courant. Mais mes jambes sont trop engourdies pour ça. Je sers mes mains devenues moites. Le silence nous enveloppe, tous les passagers ont désormais regagné leur taxi.

- Euh, je suis désolé, j'espère que je ne t'ai pas fait mal, commence-t-il, d'une voix rauque.

- Non ça va.

- C'est bien toi ? demande-t-il, hésitant, après quelques secondes de silence.

J'acquiesce d'un signe de tête.

Il m'a reconnue. Le sang recommence à parcourir mes veines, transportant avec lui une chaleur insupportable dans tous mes membres. Je crois que je vais exploser.

- Pourquoi es-tu en short alors qu'il fait moins huit mille degrés ? demande-t-il en me toisant du regard.

- Il faisait nettement plus chaud là où j'étais. Simple manque d'organisation, j'ai eu beau faire le tour de la terre, je n'ai pas changé sur ce point là, répondis-je d'un rire gêné.

- C'est vrai que tu n'as pas changé.

Son regard devient insoutenable, ses yeux se baladent partout sur mon corps. Je ne sais pas comment réagir, ni quoi lui répondre. Il faut dire que notre dernier échange remonte à une dizaine d'années. Lorsque je lui ai annoncé partir seule à la conquête du monde. Je crois que cette nouvelle l'a secoué. Je l'ai pris de court, il ne s'attendait pas à ce que je m'enfuie si vite...

 Mais la jeune colombe avait besoin de liberté, pas d'une cage où s'enfermer.

Je n'ai pas eu de nouvelles depuis, on s'est perdus de vue. Ma mère m'a seulement appris qu'il avait trouvé une femme lorsqu'il a déménagé quelques mois après. Je n'ai jamais cherché à en savoir plus. Je souhaitais simplement du fond du cœur qu'il soit heureux.

- Qu'est ce que tu fais là ?

- Je suis muté dans le coin d'ici quelques semaines. Je viens faire du repérage pour me trouver un logement, explique Rafael.

Mon dieu. Muté dans le coin?

Je me demande si il fait le même métier que lorsqu'on s'est rencontrés...

- Toujours dans la police ?

- Oui. Et toi, t'as fini de courir après ton rêve ? demande t-il un sourire en coin.

- Fini, oui, je rentre pour de bon. Enfin, je crois.

- Tu as prévu de faire quoi?

- Aucune idée, je vais déjà essayer de monter dans mon taxi si il arrive un jour et rentrer à la maison. Pour le reste, je verrai plus tard.

- J'ai appris pour tes parents.. Je suis vraiment navré, me dit-il en me regardant droit dans les yeux.

- Merci, dis-je en baissant les miens.

Je peux sentir sa tristesse me traverser. Il connaissait plutôt bien mes parents, il passait souvent les voir et prendre des nouvelles. Enfin, il venait surtout voir si l'insaisissable jeune fille de seize ans que j'étais se trouvait à la maison.

Parfois il avait de la chance, j'étais là. Et comme à chaque fois, le sourire que j'avais aux lèvres quand je le voyais ne disparaissait que quelques heures après, lorsque je m'endormais en pensant à lui.

Je me souviens encore de notre première rencontre. C'était il y a dix ans. Malgré les années qui ont filé, je peux encore en ressentir les émotions qui m'ont envahie ce jour là.

A vrai dire, les sensations de cet instant suspendu dans le temps étaient plutôt semblables à celles que je ressens à présent, en le voyant se tenir devant moi.

Comme si rien n'avait changé.

Et je ne peux visiblement toujours pas m'empêcher, même après toutes ces années, de plonger dans ses yeux... Mon regard est irrésistiblement attiré par le sien. Ce bleu si envoûtant.

Comme la première fois où je l'ai vu.

La toute première fois où il a posé ses yeux sur moi et où le monde entier s'est arrêté de respirer.

Et lui? Se souvient-il de nous ?

Souviens toi de nousOù les histoires vivent. Découvrez maintenant