— Non, pas comme un piquet, déambuler normalement !
Pour ce premier jour, elle voulut m'apprendre à me maintenir correctement. L'échine raide, je devais arpenter le passage en regardant devant moi sans jamais baisser le nez. Je devais paraitre sure de moi en toute circonstances, car c'était en cela que se révélerait mon charme. Tout cette comédie était si malaisante pour moi. Le sang cognait contre mon crâne. Je n'avais pas pour habitude de revêtir des masques, faire semblant, mais je devais m'y accoutumer. La cour était, selon les dires d'Augustine : « un balai de simulacres et de tromperies. »
Je m'arrêtai une fois en face de son grand miroir ovale contigu à sa coiffeuse, puis pivotai vers elle. Elle était assise sur son sofa et s'éventait lassement.
— Bon, sans doute le fait de revêtir mes apparats, vous donnerait de la prestance.
Elle se leva puis se dirigea vers la salle voisine. L'air qu'elle déplaça dans ses mouvements répandit un parfum de rose.
— Orthense ? Venez ici, appela-t-elle.
Sa dame de compagnie entra et me détailla en arquant un sourcil. Je baissai le regard sur ma robe en laine couleur vert d'eau. Je devinai ce qu'elles allaient faire de moi et un nœud se forgea dans mon estomac.
Derrière un paravent, la dame retira mes habits. Elle me fit revêtir un jupon par-dessus ma chemise courte puis, elle ajusta un corset autour de ma poitrine et commença à nouer les lacets. Mes poumons s'enfoncèrent. Mon souffle se coupa.
— Assez ! Je ne pourrais pas respirer ! geignis-je.
— Allons madame, j'ai à peine commencé à serrer.
Je plissai douloureusement les paupières. Je n'avais pas commencé ma mission que j'allais déjà mourir d'hypoxie. Comment allais-je réussir à passer la soirée avec cet engin de torture ? Comment faisaient toutes ces femmes ?! L'habitude, sans aucun doute. Je comprenais désormais pourquoi la mode exigeait que l'on se poudre le visage : pour masquer le teint écarlate causé par l'étouffement !
Elle noua un panier à ma taille, puis me fit enfiler la robe. Elle resserra les liens dans mon dos. Je grimaçai. Elle ficela un fichu autour de ma poitrine puis mes bras enfilèrent un justaucorps qu'elle agrafa à mon buste. De la soie rose de mes manches, s'évasait de la dentelle finement brodée.
Elle m'indiqua ensuite de venir m'assoir sur le tabouret près de la coiffeuse. Je me déplaçai avec l'impression de ressembler à une baleine ankylosée. Elle libéra mes cheveux blonds de toutes les barrettes que j'y avais fixées, et s'attela à concevoir une coiffure simple mais sophistiquée. Je contemplai mon reflet et ne pus empêcher mes lèvres de former un sourire.
Mes cheveux ressemblaient à ceux d'Augustine ainsi peignés sur le côté. Je pouvais à peine respirer, l'osier du corset me rentrait dans la chair mais le résultat était incroyable. Je ressemblais à une femme du beau monde !
Je me relevai du tabouret et me déplaçai vers le petit salon où patientait Augustine. Dès qu'elle me vit, la mâchoire de cette dernière sembla se décrocher.
— Cette robe vous sciez à merveille ! s'exclama-t-elle. La couleur rose fait ressortir le bleu de vos yeux.
Je rougis. Je fis mine de rien en époussetant la soie de couleur unie.
— Pourvue que je n'attire point trop l'attention sur moi.
— Cela risque d'être difficile, ma cousine. Quoique les belles femmes ne manquent guère à la cour. D'ordinaire pour déambuler dans Versailles, il vous faut revêtir des gants et un chapeau, l'étiquette en matière de tenue est assez stricte, mais pour un bal masqué, c'est un peu plus libre.

VOUS LISEZ
Le secret du lys
Roman d'amour1742, Chaville. Depuis la mort de son père, Athénaïs est vouée aux caprices d'une mère dépensière et narcissique. Éprise de liberté et de justice, elle trouve refuge dans la littérature et la philosophie. Cependant, les dettes du foyer se creuse...