Chapitre 2 | L'embuscade - Part IV

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Je savais à quel point mon grand-père aimait et chérissait sa voiture ; c’était clairement de la folie. Mais dans un autre sens, je ne voulais pas qu’ils rendent la vie difficile à Lana. Ma meilleure amie harcelée ou moi tué par mon grand-père ? Les deux options ne m’enchantaient pas beaucoup, mais quitte à choisir, j’optai pour mon propre sacrifice. Je n’aurais pas supporté de voir Lana souffrir par ma faute.
− D’accord pour la voiture, et puis c’est tout, tu me laisses tranquille et tu ne t’approches pas de Lana ?
− Promis ! Hein les gars ?
Les trois autres jeunes qui m’entouraient acquiescèrent. Yann me tapa sur l’épaule et je fus escorté jusque chez moi, ils se posèrent sur des voitures garées en face de la maison et m’observèrent. Le véhicule se trouvait dans le garage, forcément mon grand-père entendrait sa voiture démarrer et quitter son nid. Je regrettais ma décision, c’était « mission impossible », mais il était hors de question que je reparte en arrière, Yann et sa bande me rendraient la vie bien plus dure et en plus ils s’attaqueraient à Lana. Lorsque j’entrai dans la maison, mon grand-père se tenait à l’entrée de la porte et ne manqua pas d’aller jeter un œil dehors.
− Qu'est-ce que ces jeunes font là, Maxime ? demanda mon grand-père d'un ton sévère. Tu sais combien j'ai horreur des gens qui viennent chez moi sans y être invités.
Je jetai un regard hésitant en direction de Yann et sa bande : « Ce… ce sont juste mes amis, ai-je répondu en bafouillant. »
Mon grand-père fronça les sourcils, sceptique : « Tu es sûr que ce ne sont pas des ennuis ? demanda-t-il. »
Mon grand-père n’était pas le genre de personne à accueillir qui que ce soit, les bras ouverts. Toute cette situation me rendait encore plus nerveux, j’avais l’impression qu’il pouvait lire dans mes pensées et savait que quelque chose d’anormal se tramait.
« Ils préfèrent attendre dehors, on va se balader entre potes. »
Je n’avais pas la moindre idée de là où il rangeait ses clés de voiture. Nous n’étions pas très bavards tous les deux, mais là je n’avais pas le choix, il fallait qu’il me dise où il cachait ses clés. Je n’étais vraiment pas doué pour les mensonges et je craignais d’être dévoilé par mes questions maladroites. Dans un premier temps, je balayai du regard l’entrée, puis mes yeux se dirigèrent vers la droite, là où se trouvait le bureau de mon grand-père, c’était forcément là-bas.
− Est-ce que tu cherches quelque chose ? me demanda grand-père.
− Quoi ? Pourquoi ? paniquai-je.
− Tu restes là, tes amis t’attendent…
− Ah oui ! J’ai dû oublier mes écouteurs dans ta voiture, est-ce que je peux aller les récupérer ? improvisai-je.
− Les clés se trouvent dans le premier tiroir du vieux buffet en bois, dans le salon. N’oublie pas de les remettre à leur place. Ah ! Et n’allez pas vous balader en forêt, c’est dangereux en ce moment. Rentre avant le dîner, m’ordonna-t-il.
− D’accord.
Soulagé, j’allai en direction du salon pour récupérer les clés. La télévision était allumée et les photos de Moussa et Antoine venaient d'apparaître à l’écran. La maman d’Antoine suppliait qu’on lui donne le moindre détail sur la disparition de son fils. Mon cœur se serra, ça aurait dû être moi à la place de Moussa et d’Antoine, je n’aurais manqué à personne. J’eus l’envie de disparaître comme eux, et de ne plus avoir à affronter la vie et ses déceptions. Je sentis une immense lassitude et l’envie de tout abandonner. Mais je devais le faire pour Lana. Dehors, Yann et les autres commençaient à s’impatienter, ils criaient mon prénom et imitaient des cris d’animaux.
Alors je pris les clés dans le tiroir, je le refermai et sortis de la maison. Mon cœur battait à cent à l’heure, je fus pris d’un soudain et bref vertige. J’ouvris le grand portail de notre maison, Yann et sa bande étaient tous excités à l’idée de conduire la vieille Alpine. J’avais une idée très claire, il était hors de question de démarrer la voiture, alors avec l’aide de Yann, nous fîmes d’abord rouler la voiture jusqu’au bas de la rue Rosa Bonheur, en desserrant le frein à main. Notre manœuvre fut un grand succès. C’était la première fois que je m’écartais des règles droites que m'avaient toujours inculquées mes grands-parents, je n’étais pas à l’aise à l’idée d’avoir volé la voiture de mon grand-père. Mais j’étais prêt à tout pour éviter à Lana de subir un quelconque harcèlement de la part de Yann.
Au-delà de mes sentiments de culpabilité, j’avais l’impression de me défaire d’un joug trop longtemps attaché à mon cou, tenu par mon grand-père. Il le méritait bien après tout, c’est lui qui passait son temps à me mentir au sujet de mes parents et qui m’ignorait depuis longtemps.
Yann s’installa au volant et moi du côté passager. Il roulait très vite sur une route peu fréquentée, au milieu d’arbres gigantesques. Nous étions tous morts de rire… Jamais je n’avais ressenti cette sensation de liberté, j’avais l’impression de voler, je m’éclatais.
Puis notre course s’arrêta net. Nous venions de percuter quelque chose, Yann perdit le contrôle de la voiture et ma vision s’obscurcit brutalement. Lorsque je repris enfin connaissance, c’était le chaos autour de nous ; et la douleur terrible, inhumaine, qui me prenait à la tête était affreuse. Je posai la main sur mon front et je vis que je saignais abondamment. Ensuite vint le froid, mais pas un froid ordinaire, c’était comme une sensation fulgurante qui engourdissait mon corps tout entier et coupait petit à petit ma respiration. Je respirais une forte odeur de carburant et de fumée épaisse. À l’arrière du véhicule, j’apercevais à peine les autres, eux aussi semblaient avoir du mal à bouger. Je réalisai alors que nous venions d’avoir un accident avec la voiture de grand-père. Il faisait sombre et j’entendis des sirènes au loin. Dans un dernier effort, je relevai la tête et aperçus les secours qui se dirigeaient vers nous. Puis le trou noir…

Marlavant - Le cœur de la forêt - T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant