Le commissaire haussa les épaules et me fixa en plissant légèrement les yeux comme s’il s’attendait à des confidences de ma part.
− Je ne sais pas exactement. C'est pourquoi je suis ici, Maxime. J'espérais que tu puisses me dire quelque chose qui m'aiderait à comprendre ce qui s'est passé.
− Je suis désolé, commissaire, je ne me souviens même pas de l'accident. Je me suis réveillé ici avec la sensation d’avoir la tête grosse comme un ballon de basket.
Le commissaire hocha la tête et sembla relire ses notes : « Vous empruntez une voiture, à quinze ans, eh bien ! sache que tu risques plus de dix mille euros d’amende et une interdiction de passer le permis pendant cinq ans. De plus, votre camarade conduisait sans permis et en étant mineur, l’assurance ne prend pas en charge les réparations. Heureusement, si je puis dire, vu votre âge, vous ne risquez pas la prison. Le commissaire s'arrêta un instant de réciter les charges qui pesaient contre moi, puis il reprit en regardant par-dessus le lit dans ma direction.
Maxime, s’il te plaît, fais un effort, dis-m’en plus sur les raisons de votre escapade, insista le commissaire avec douceur et fermeté. »
Je secouais la tête en espérant que je me réveillerais à nouveau et que les seules personnes qui m’interrogeraient prendraient de mes nouvelles avec beaucoup d’empathie et me consoleraient avec des mots réconfortants.
« On a juste emprunté l’Alpine de mon grand-père pour faire un tour. Yann était au volant et moi, du côté passager. On faisait les cons, on roulait vite, racontai-je un peu honteux. Et puis, en s’enfonçant dans la forêt, on a percuté quelque chose. Je ne sais pas ce que c’était, mais ça s’est écrasé violemment sur le pare-brise. Après ça, c’est le trou noir… »
Le commissaire referma son bloc-notes, puis en se levant, il jeta un regard par la fenêtre et me dit : « Viens, je vais te raccompagner. Tu as l’autorisation de sortir de l’hôpital, et ton grand-père t’attend dehors. »
J’étais soulagé que la discussion touche enfin à sa fin. Je me rhabillai sans rien dire, pas très rassuré à l’idée d’affronter mon grand-père, désormais.
Dans le couloir de l’hôpital annexant ma chambre, j'aperçus Yann avec quelques contusions sur le visage et son bras gauche en écharpe. Il était en train de se faire rabrouer devant pléthore de spectateurs. Un homme grand et tout en muscle, son père, devinai-je, le hurlait dessus en lui collant une grande claque derrière la tête. Jamais je n’avais vu Yann autant assujetti à un adulte, il semblait complètement tétanisé. Quel contraste avec son comportement à l’école ! Le rapport qu’il avait avec cet homme n’était-il pas finalement sous-jacent à sa rudesse envers moi ?
Yann leva les yeux et nos regards se croisèrent. Je vis en lui de la honte et aussi une forme de tristesse. Je me fis la réflexion à savoir s’il n’était pas mieux d’avoir un père absent plutôt qu’un père violent. Était-ce au fond quelqu’un de vraiment mauvais ? À cet instant précis, je n’en étais pas persuadé. De victime à bourreau, il déversait son mal-être en humiliant les autres. Finalement, cela n’avait rien à voir avec moi, espérai-je. Je sentis comme un poids se retirer de dessus ma poitrine en y pensant.
Mon grand-père nous attendait sur le parking des urgences. Il était adossé sur la voiture de police et rattachait son chignon nerveusement. Même de loin, je pouvais discerner son visage fermé, son regard perçait la nuit sombre et je me sentais comme nu et pris de frissons. En nous voyant arriver, il remercia d’un hochement de tête son ami et nous montâmes aussitôt dans la voiture. Il ne me prêta aucune attention. Durant le trajet, grand-père demeurait relativement silencieux, il s'essayait à prendre des nouvelles du commissaire, tantôt sur son travail, tantôt concernant son foyer. Jusqu’alors, je n’accordais aucune attention à leurs échanges platoniques. Je luttais plutôt contre la fatigue et tentais vainement d’apaiser une migraine aiguë en me massant énergétiquement la tempe droite.
Mais une énième question de mon grand-père me fit brusquement sortir de ma léthargie : « Comment va Véra ? ».
Dans un effort physique considérable, je tentai de redresser ma tête qui avait littéralement adhéré au dossier de mon siège. J’essayais de reprendre le fil de leur conversation, mais l’intensité de la migraine augmenta si fort que je stoppai mon élan et retombai lourdement dans mon assise, éreinté. Lorsque mon grand-père prononça le nom de la femme du commissaire, je me vis revivre partiellement une scène dans la serre de mamie Ada. Je la voyais en train de soigner ses plantes et moi en train de l'assister maladroitement.
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Marlavant - Le cœur de la forêt - T1
ParanormalMaxime, un adolescent harcelé à l'école, se lance dans une quête pour découvrir son identité lorsque des jeunes commencent à disparaître mystérieusement dans sa ville. Avec l'aide de son amie Lana, ils enquêtent et découvrent que les disparitions so...