Dans chaque port, il y a au moins un phare qui éclaire le tableau de l'océan. Peinture à la multitude de sujets colorés, grands, petits, mâles, femelles, plantes, poissons voyageant au milieu de l'aquarelle magique qu'est la mer. Je dis magique car comment pourrait-on décrire autrement cette palette de couleurs allant du bleu nuit étoilée jusqu'au orange coucher de soleil en passant par le bleu profond de l'après-midi ? Cette peinture merveilleuse n'est pas figée, mais animée par les bateaux pinceaux peignant de blanc écume leurs sillages. Néanmoins, cette toile idyllique l'est elle tant que ça quand on sait que ces mêmes pinceaux la recouvre parfois du noir mort, noir horreur, noir pollution, noir pétrole ? Ce noir qui strie cet autrefois si beau tableau dévore tout : les poissons, les algues, le sable, les coquillages, les pierres, tout. Tout ? Non, pas tout. Pas le phare, qui se tient droit, intouchable et libre, comme un artiste illuminant de son pinceau la raison, la vie, la mort mais surtout la vérité. Cela dit, il arrive parfois que les peintres dépeignent des scènes quotidiennes toutes simples, toutes normales, même si le peintre en question est un phare. Ce jour-là par exemple, un groupe de jeunes d'une vingtaine d'années pris à la gorge par une violente nostalgie, jouaient au ballon sur la plage. En effet, ils s'amusaient autrefois très souvent là quand ils étaient plus jeunes. Malheureusement, le ballon tomba à l'eau et se fit emporter par la mer, dessinant dans son sillage un voile d'un blanc laiteux. Non loin de là, assise sur les quais près du phare-peintre, une jeune femme à la peau dorée observait à la fois l'infini et le vide total. Les bristols qu'elle serrait entre ses mains témoignaient néanmoins de l'activité qu'elle était supposée effectuer. Cependant, elle reprit rapidement ses esprits lorsque quelque chose se heurta à sa jambe. Là, flottant à la surface de l'eau, se trouvait un ballon de plage coloré. La jeune femme déposa les fiches pour attraper le ballon qu'elle observa avec la curiosité de quelqu'un qui aimerait désespérément s'amuser, ne serait-ce qu'un peu. Soudain, entendant un cri et de nombreuses éclaboussures, elle leva les yeux et vit, à une dizaine de mètres de là, un jeune homme agitant les bras comme une poule essayant de s'envoler. L'étudiante, qui trouvait cela extrêmement comique, compris qu'il voulait qu'elle lui renvoie le ballon, ce fut donc ce qu'elle fit. La remerciant d'un signe de tête, le garçon repartit vers la plage et la jeune femme reprit ses révisions, un peu plus sérieusement cette foi-ci. Un autre jour, le même jeune homme se baladait sur la côte le regard perdu là où l'horizon et la mer fusionnaient. Il pensait à l'écume, aux vagues, aux poissons, aux coraux, aux marées et au sable aussi. Pas le sable chaud et doré des plages, non, plutôt à celui humide et sombre que l'on trouve tout au fond de l'eau, celui qui cache certaines espèces de crustacés et de poissons, les protégeant comme une mère protègent ses enfants.
Non ce n'est pas vrai..., murmura le garçon, il cache aussi WHOA !?
À un instant durant sa réflexion, il s'était arrêté de marcher se retrouvant ainsi planté au beau milieu de la voie piétonne. Il n'était donc pas étonnant qu'il se soit aussitôt fait renversé par une jeune femme en roller derrière lui. En revanche, ce qui l'était fut le fait que la personne lui étant rentré dedans était la même qui lui avait rendu son ballon quelques jours auparavant. S'ensuivit un véritable poème d'excuses qui donna lieu à une cacophonie de « c'est ma faute ! » qui semblait interminable au yeux des deux individus. Ils arrivèrent néamoins à un accord qui semblait juste au yeux de la jeune femme après quelques minutes de querelles : celle-ci s'occuperait de désinfecter, sur les jambes des deux jeunes, les égratignures apparuent suite à leur chute sur le goudron, puisqu'elle était infirmière et il n'en parlerait plus. Le garçon accepta malgré sa difficulté à voir en quoi cet accord était juste. Le phare-peintre, qui observait la scène avec indifférence, aurait probablement été heureux de voir les deux humains s'asseoir dans son ombre pour panser leurs blessure, s'il avait eu des émotions. Sous son regard attentif les deux humains discutèrent et, sans le réaliser, il passèrent l'après-midi entier là, dans son ombre. Ils promirent alors de se retrouver la semaine d'après au même endroit, et, sans le réaliser, il devint habituel pour eux de se rencontrer au pied du phare-peintre tous les dimanches. Ils parlaient de tout et de rien, de la vie et de leurs rêves, des études et des loisirs... Le garçon travaillait dans l'entreprise familiale en tant que capitaine de bateau touristique. Il racontait à sa nouvelle amie à quel point les hivers pouvaient être dur à cause du manque de touristes et qu'il rêvait souvent de s'échapper de tout ses problèmes d'argent en prenant le large et en naviguant loin, très loin... La fille, quand à elle, raconta qu'elle venait d'une famille nombreuse de banlieue. Tous ses proches l'avaient abandonné aussitôt qu'elle leurs avait dit qu'elle allait faire des études de médecine, prétextant qu'elle devenait une snob égoïste. Tous deux se sentaient souvent seul et incompris, pourtant, dans le jardin secret sous le regard du phare-peintre, ils se sentaient libre. Libre de ressentir ce qu'ils voulaient, de pleurer quand ils voulaient, de rire de ce qu'ils voulaient. Ils avaient la sensation que, tant qu'ils seraient tous les deux, rien ne pourrait jamais leur faire du mal. Mais puisqu'un artiste ne peint pas que des tableaux heureux, il était évident qu'un malheur finirait par arriver. Ce jour-là, le phare peintre avait était témoin d'une pluie torrentielle toute la journée. Pourtant, pour une raison qui échappait à tout le monde, les visites touristiques en bateau n'avait pas été annulées et, celui du jeune homme était parti en mer pour ne jamais revenir au port. Peut-être les vagues étaient-elles trop hautes, peut-être le courant était-il trop fort : cela n'avait pas d'importance au yeux de la jeune fille qui avait témoin de l'événement par le biais des informations télévisées. Elle ne pouvait pas y croire. Elle ne voulait pas y croire. Alors, le lendemain après-midi, elle alla au port détrempé, attendant son ami en vain. Et elle pleura toutes les larmes de son corp jusqu'au milieu de la nuit, cherchant du réconfort dans la familiarité des lieux. Mais le phare-peintre ne lui offrait plus la moindre protection à présent : déjà, il était passé à l'œuvre suivante.