PROLOGUE

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GIULIA

7 juillet 1986, Gaslight Fields, Texas.

Papa m'avait dit de ne jamais tourner à droite, au carrefour de Maine Road. Que même si Beck voulait faire le malin et me pousser à la punition, je devais à tout prix refuser et continuer mon chemin jusqu'à la maison.

"Cinquante pas tout droit depuis l'arrêt de bus et puis tu tournes à gauche quand tu vois le premier chêne du chemin. Tu te souviendras de ça, Giulia ?"

Cinquante pas tout droit.

Tourner à gauche.

Le chêne.

"Tu m'as bien compris ?"

Je fronce les sourcils alors qu'une violente toux déchire ma gorge.

Je n'ai jamais eu aussi mal.

Et il fait chaud.

Si chaud...

Giulia.

Mon nom dans la bouche d'un garçon pousse mes paupières à s'ouvrir, sans que je parvienne à bouger le reste de mon corps. La voix ne vient pas de Papa. Ni de Beck.

Non, Beck n'est plus là depuis que le soleil s'est couché trois fois derrière les planches en bois du hangar dans lequel on est enfermés.

Il a crié.

Il a refusé de lâcher ma main. 

Puis, il a disparu.

Et il n'est pas revenu.

Giulia.

On a tourné à droite, papa.

On a voulu rire, papa.

J'ai peur, papa.

Je suis désolée.

Je suis tellement désolée.

S'il te plaît, vient me chercher.

Giulia, redresse-toi.

Je passe le bout de ma langue sur mes lèvres sèches en grimaçant sous leur goût salé avant de m'exécuter. Tout est flou, d'abord. Des taches de couleur, certaines vives, d'autres non, noient une image qui refuse de se stabiliser.

Tu dois manger.

Je cligne légèrement des paupières et un visage se forme, séparé du mien par des barreaux épais autour desquels mes doigts sont restés accrochés.

Je l'avais vu avant qu'on se retrouve ici. Il était dans la classe de Beck. Sauf qu'il avait des lunettes qui ne surmontent plus son nez violacé et gonflé. Il avait aussi moins de boue sur les joues et...

Du sang.

Quand mes yeux se fixent sur la longue trace pourpre et asséchée qui part de sa tempe pour disparaître dans le col déchiré de son t-shirt, je ferme à nouveau les yeux.

Peut-être que comme ça, je me réveillerai enfin.

Je serais dans mon lit, avec mon doudou. Beck se tiendrait à côté de moi comme à chaque fois que j'ai passé la nuit à faire un cauchemar. Il serait énervé, parce que je ne l'aurais pas laissé dormir, mais il m'aurait quand même construit un château avec nos oreillers et nos draps.

Once, We Flew.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant