Acte 3, scène 8 : Rébellion

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Scène 8

LA PYTHIE

La Pythie face à un grand chaudron bouillant prépare une potion et récite une incantation.

LA PYTHIE : Une grenouille, un serpent et un ver,

Un chaudron, une potion pour une sorcière

Qui ne pourra être bue que dans un verre

Donné en cadeau par celle qui est la Mère

Et qui vous sort toujours de terre.

Ainsi, elle me transformera en arbre vert.

(Elle prend une coupe, la plonge dans son chaudron et la boit. Tout en prononçant son discours, elle enlève au fur et à mesure ses guenilles et se change en belle femme.)

Des côtes de ma cité de Delphes, un jeune philosophe est venu me chercher. Il était beau et prompt, Socrate était son nom. Une ville parfaite il m'a promis, elle devait sortir les hommes de l'ennui. Mais à la place, une cité des plus autoritaires est sortie de terre et m'a rongée comme un ver. Je suis devenue une vieille femme laide et aigrie, punie par les dieux car bénie d'une vie trop longue pour être bénie. Doucement, je péris, et même les armes qui m'ont endurcie n'ont fait qu'intensifier mon agonie. Socrate m'a séduite, mon âme s'est adoucie. D'une femme dans une grotte cramoisie, je deviens une pythie. Autrefois je servais Apollon mais à présent, je ne parle plus en son nom. La vérité s'est consumée dans le mensonge qui est resté. Socrate tu m'a promis monts et merveilles, mais je n'ai que babioles et funestes quincailleries. Pourritures, crachas et semences pourries ! Je m'attendais à un beau temple, une grande magie mais je n'ai eu qu'une baraque décrépie. Je moisis, les dieux m'ont abandonnée. Ce temple autrefois magnifique est tombé dans la saleté. Il est l'image, le reflet de cette république qui n'est qu'une façade car elle est tyrannique. J'ai cru cet homme, il m'a parlé. Il a détourné mes enseignements, m'a convaincue du bien-fondé de tout cela, alors je l'ai suivi. Il avait tout pour lui, la Justice, la passion, et tout le reste ! Je l'ai suivi. La Justice et la Légalité au fil des années se sont délitées. Son âme, la mienne, le temple ... il m'a trahie, cet être mal dégrossi. Il a perverti la philosophie ! (Elle se stoppe un instant, puis reprend.) Mon enseignement détruit au profit d'une ineptie. La république est devenue tyrannie et la Justice, la Légalité, l'Équité, la Bonté et la Piété sont tombées dans un oubli infini. Mais il suffit ! Plus de calomnie ! À présent, je suis déterminée à retrouver mes vertus passées. Il me force à me révolter. Je ne suis plus la même. Plus jamais ! Je suis indépendante et ma volonté désormais sera prisée. (Elle pose ses mains sur sa poitrine.) Oh ! Doux Socrate, sache que je ne te hais point (1). Mais ton être appartient au passé, celui que j'aimais n'est plus désormais. Tu es un monarque, un tyran : tu t'es confondu avec l'État ! Le philosophe est la subjectivité, et toi tu es l'objectivité. T'arrive-t-il de descendre de tes Idées et de laisser parler ta subjectivité ? Oui, mon Socrate, tu n'es plus Socrate, tu es le hiérarque. (Elle prie.) Oh, dieux, tous les dieux, donnez-moi la force de foudroyer le régime ! Athéna, déesse de la Justice et protectrice de notre cité, aide-moi dans la guerre juste à venir car il nous faut la destruction, pourtant je suis la création ! Aide-moi à aller contre ma nature, aide-moi à briser ces murs qui enferment les hommes. L'excès de raison se transforme en prison, que mes émotions se laissent aller à la passion et apportent à la trop grande raison sa destruction.

(La pythie s'avance sur le devant de la scène, elle a entièrement enlevé ses guenilles. Sa transformation est complète. Elle lève le poing.)

DIOTIME : Rébellion !!


(1) « Va, je ne te hais point ! » (Acte III, scène 4 de la pièce de théâtre française « Le Cid », écrite en 1637 par Pierre Corneille.)

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