Chapitre 22

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 Aux premières lueurs de jour, je dormais profondément. Il fallut attendre qu'il soit presque onze heures pour que j'émerge d'un sommeil agité et désagréable. Une scie me perforait le crâne comme si c'était un vulgaire tronc d'arbre, et l'arôme de l'alcool empestait dans toute la chambre.

Annabelle et Victoire étaient rentrées chez elles pour profiter d'une nuit paisible tandis que Johanne et moi avions regagné notre chambre sur le campus. Ma colocataire était presque aussi en forme que moi. Ses cheveux étaient en pagaille sur sa tête, sa bouche grande ouverte, tandis que ses bras paraissaient s'emmêler entre eux. Elle s'était empêtrée dans sa couette comme un véritable vers de terre.

— Bon sang.

Tout en me redressant, je grognai de douleur en me prenant la tête. Quelqu'un de mal intentionné se plaisait à jouer du tambour à l'intérieur de mon crâne. J'avais mal partout, même jusqu'à la racine des cheveux. Comme tant d'autres avant moi, je me fis la promesse de ne plus jamais boire autant. Vœu pieux lancé avec autant de réalisme qu'une nouvelle résolution de la nouvelle année.

Bon gré mal gré, je m'extirpai de mon lit pour filer sous la douche. L'eau chaude chassa un peu l'engourdissement qui me saisissait encore, m'aidant peu à peu à me réveiller. Le savon me permit d'ôter les derniers effluves de l'alcool, de même que le dentifrice. Une fois lavée, je me sentis beaucoup mieux.

— Bien dormi ?

Johanne grommela quelques mots inintelligibles en guise de réponse. De mon côté, si je souhaitais avoir une chance d'être un peu productive aujourd'hui, il me faudrait un café sans tarder.

— Je vais aller chercher un café. Tu veux quelque chose ?

— Un café très serré. Beaucoup de café.

Elle se frotta les yeux, assise en tailleur. Après avoir enfilé mon manteau et mes chaussures, je filai hors des dortoirs. Non loin de l'université, il y avait une petite enseigne italienne qui proposait un vaste choix de cafés à emporter. Elle disposait aussi de pâtisseries, de viennoiseries, et de plats à déguster le midi ou le soir. Pendant les vacances, Johanne et moi avions goûté à leurs pizzas ; elles étaient succulentes.

En ce dimanche de novembre, les allées du campus étaient presque aussi vides qu'à mon arrivée en septembre. Le temps maussade n'était pas très engageant, et bon nombre d'étudiants étaient sortis la veille. De toute évidence, beaucoup profitaient de cette dernière matinée pour dormir un peu.

Tout en marchant en direction du café, je me remémorai les évènements de la veille. À mon réveil, tout était encore un peu confus. Des images teintées de lumières vives, parfumées d'alcool et de sueur, embrumaient mon esprit. Maintenant, le voile s'était levé pour me délivrer des souvenirs plus nets.

Je me souvins d'Eva, de Lance et de cet affreux type qui m'avait alpagué sur la piste de danse. Si Lance n'était pas intervenu, peut-être que la situation aurait dégénéré. Cette conclusion suscitait chez moi des sentiments contradictoires ; j'étais reconnaissante qu'il nous ait tirées de ce mauvais pas, mais je lui en voulais toujours autant. Peut-être même encore plus après cette scène avec Eva.

Eva...

— Un latte et un grand café bien serré s'il vous plaît. Ajoutez-y deux croissants, aussi. Merci.

Une fois ma commande passée et payée, je replongeai dans mes pensées.

Lance avait-il convaincu Eva ? Lui avait-il confié ses griefs à mon encontre ? C'était l'option la plus probable. Eva avait donc consenti à ses conclusions, elle avait admis que j'étais quelqu'un de mauvais, une personne qu'on ne saurait fréquenter.

Louve [En pause]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant