Ne regarde pas la route

La nuit

Je me réveille en sursaut. Je viens de faire un rêve qui me met mal à l'aise : ma mère ne voulait pas que je parte avec Olivier, alors elle m'a dit qu'elle était enceinte pour me faire rester à ses côtés. Elle me disait que je devais l'aider à élever le bébé, qu'elle n'y arriverait pas toute seule et qu'elle avait peur. Mon corps a la consistance de la confiture. Je constate seulement maintenant que le soleil disparaît sous l'horizon et que la voiture est à l'arrêt, nous sommes garés près d'une station essence. 

Olivier revient du supermarché avec des sandwiches et des canettes, tout sourire en me voyant réveillée. Malgré ma béatitude, je réprime mal un sourire en coin moi aussi. Le pauvre, il doit être soulagé que je ne dorme plus, je pense que je faisais vibrer le véhicule ! Il tape à ma vitre, que j'abaisse. 

_ Je t'ai pris une limonade, j'ai bien remarqué que tu aimais ça ! Et je ne sais pas ce que tu aimes en nourriture, alors je t'ai pris jambon-beurre et crudités, et tu choisis entre les deux, ou les deux, comme tu veux !

Il est chou. Je me sens mal d'avoir pris ma glacière pour le voyage.

_ Oh, merci beaucoup ! Je suis végétarienne, alors je vais prendre crudités, hein ! C'est adorable d'avoir pensé à moi, merci ! Je vous dois combien ? 

_ Tu peux me tutoyer aussi, tu sais ! Et tu ne me dois rien tu tout. Tu paieras pour demain matin ! me lance-t-il avec un clin d'œil. 

Bah, demain matin, ce sera la glacière. 

Je sors de la voiture. 

_ Allez, c'est mon tour de conduire, j'ai suffisamment dormi, c'est à ton tour maintenant. Je suis en pleine forme, la nuit m'appartient ! 

Olivier rit. Mais en vrai, je ne suis pas en pleine forme. Ce rêve me trotte dans la tête, et, juste pour être sûre, je vais quand même envoyer un message à Maman. Juste un "Coucou, ça va ? Mon covoitureur est super sympa et on avance bien. Bisous!" et c'est tout, ça suffit. C'est pas comme si elle allait me sortir le même speech que dans ma tête, oh ! 

Elle ne le lit pas tout de suite, mais elle répond vite, donc je ne m'inquiète pas. Et puis c'est ma mère, elle fait sa vie !  Remise sur ressorts, je m'installe au volant, et j'engloutis mon sandwich en trois bouchées. J'essuie maladroitement les miettes sous l'œil inquisiteur du propriétaire de la voiture et je mets les gaz. Wow ! Elle est juste incroyable ! Ces petits bijoux du siècle dernier n'ont d'égal que le sentiment qu'on éprouve à les conduire. Olivier me regarde avec le regard d'un adulte attendri qui vient d'offrir à un enfant son jouet préféré. Et on va pas se mentir, c'est le cas ! Le moteur ronfle, le cuir craquelle, la radio chantonne, l'air siffle en frôlant ma fenêtre entrouverte, c'est un régal ! Et pour encore améliorer le bonheur, le coucher de soleil est magnifique ! Très vite, Olivier s'endort. Mmh. Lui il ne fait pas de bruit. 

Je passe quelques heures tranquilles à rouler dans la nuit, Olivier toujours assoupi à côté. J'aime ce sentiment d'apaisement, contrairement à ce qu'on pourrait croire à mon caractère explosif. Je décide d'appeler Vick. 

_ Hello, pretty boy ! Hâte d'arriver au pays de GALLES ? 

_ Hey, beauty ! Yep, je suis à l'aéroport déjà. Juste incroyable, ton BlaBlaCar, du coup ! Il est normal, au moins ? 

Je lève les yeux au ciel. Il s'inquiète trop, je suis une grande fille à la fin ! 

_ Mais oui, tu sais bien que c'est moi qui ne le suis pas. Il est trop gentil, il s'appelle Olivier et il a juste une voiture de MALADE !! 

_ Haha, il est canon ? 

_ Vick, ça pourrait être mon père. 

_ Ah ouais.... Eh, en vrai on sait jamais, tu l'as jamais connu ! 

_ Très drôle... Tu devrais faire du stand-up, tellement t'es hilarant ! 

_ Je sais, je sais. Bon là, je vais passer la douane, je te laisse ! 

_ Bisous, je vais laisser mon covoitureur dormir ! 

Je raccroche. Vick, t'es vraiment trop bête ! Mon père, et puis quoi encore ? Personne ne le connaît, même pas Maman ! Je jette une œillade à Olivier, et c'est là que je me rappelle ce sentiment de déjà-vu, au bar. Je connais ce type. Mais d'où ?!