No Te Rindas

Chapitre 1 - Tout s'écroule

Ella

— Ella, j'ai un truc à te dire.
Ses mots sont durs, presque crachés comme un vulgaire gros mot (ou même comme un vulgaire chewing-gum mâché depuis des heures, la comparaison peut être sympa). L'expression de son visage déclenche en moi un raz de marées d'émotions, je ne comprends pas ce qui est en train de se passer. Sa mâchoire est tendue si bien que j'ai l'impression d'entendre ses dents grincer. J'ai horreur de ce bruit. Ça n'arrange pas la situation. Cet instant fait écho à la journée étrange que je viens de passer aujourd'hui. Je l'ai senti distant, comme s'il n'était pas vraiment avec moi. Lorsqu'est venu le  moment de faire à manger ce midi, ses gestes étaient précipités, tendus, comme si quelque chose le pesait et qu'il n'avait qu'une hâte, terminer cette pénible tâche et partir le plus loin possible. Je n'y avais pas vraiment prêté attention, ce n'est pas la première fois et j'ai appris à faire avec ce genre de comportements. Seulement mon instinct me criait que ce n'était pas comme d'habitude. J'ai rapidement refpilé cette idée dans un coin de ma tête sans y prêter plus grande attention. Je me suis toujours amusé à le détailler et à sauvegarder dans ma mémoire chaque partie de son corps, comme si je les prenais en photo, mon regard insistant sur celles que je préfère. Son air contrarié qu'il arbore en toute circonstance ne me plaisait pas trop au début. J'avais l'impression qu'il ne me laissait pas lire en lui, comme s'il voulait absolument garder le contrôle. Au bout de trois ans de relation maintenant, ce détail qui n'appartient qu'à lui fait partie des choses que je préfère. Ce sont ses yeux d'un bleu perçant qui m'ont fait succomber la première fois que l'on s'est rencontré. J'étais tellement envoûtée que je me suis mise à rougir lorsque je me suis rendu compte qu'il m'observait à son tour. Je les aime tellement que je pourrais me perdre dans son regard. J'enregistre aussi très précisément la manière dont ses cheveux sont coiffés, on pourrait dire que c'est sa marque de fabrique.
Mais un autre élément est venu s'ajouter au trouble que je ressentais. Lorsque je me suis mise à goûter le repas qu'il était en train de nous préparer et alors que je m'attendais à me faire réprimander, il n'a pas réagi. D'habitude, il me fait tout un discours pour m'expliquer qu'il faut que j'attende que ce soit prêt avant que je puisse goûter. Je suis finalement passée outre et j'ai rejoint le salon en attendant que le dîner soit servi.
J'essaye de garder une contenance le temps qu'il m'explique ce qu'il à me dire. Son silence est si long.
— Je t'écoute... je lui réponds si bas que je ne suis pas sûre qu'il m'ait entendu.
— Ça ne va plus entre nous depuis un moment, je sais que tu en es consciente. Malgré tout, au fond de moi... je sais pas, j'espérais que tout finisse par redevenir comme avant mais...
Son regard se disperse sur tous les éléments qui pourraient l'entourer mais m'évite constamment. Comme s'il n'osait même pas me regarder dans les yeux. Mais pourquoi ? Ce qu'il a à m'annoncer est si dur à dire ? Mon cœur bat à tout rompre et je sens la panique monter en moi.
— Mais quoi ? Je lui réponds en essayant de masquer les tremblements dans ma voix.
— J'ai rencontré quelqu'un.
Les mots fusent de sa bouche si vite que je me demande si j'ai réellement bien entendu. Je suis en train de rêver ? Il ne m'a pas réellement dit ça ? Pas comme ça ?
— Pardon ?
C'est tout ce que j'arrive à dire, un seul mot alors que tant d'autres se bousculent dans ma tête. Je ne suis même pas sûre de l'avoir dit à voix haute ou s'il a simplement résonné trop fort dans ma tête. Moi-même je ne sais pas si je l'ai dit à haute voix. J'ai l'impression d'être en plein cauchemar. Je vais me réveillé ce n'est pas possible ! C'est impensable, je... il est hors de question que je le perde ! En prenant le temps de calmer ma fureur pour le regarder, je remarque qu'il n'a pas du tout l'air perturbé par ce qu'il vient de me dire ! C'est comme s'il me parlait de la météo. Sa réaction ne colle pas avec son annonce, j'ai l'impression de devenir folle. La surprise et la sidération que je ressens se dissipent aussi vite qu'elle est apparue et laisse place à un sentiment étrange, un mélange de colère et d'incompréhension.
— Et tu m'annonces ça comme ça ? Tu aurais au moins pu y mettre les formes quoi ! Je sais pas moi, tu t'es pas dit que ce serait compliqué pour moi d'entendre ça ? Je tourne en rond comme un lion en cage, la colère s'infiltrant par tous mes pores.
J'ai l'impression de rêver d'une chute sans fin et de toujours ressentir cette même peur et ce même affolement de mon cœur après m'être réveillée.
— Je suis désolé, tellement désolé, mais je ne peux pas te mentir plus longtemps. Je ne suis plus amoureux de toi, m'avoue Evan en jouant avec ses cheveux.
C'est une manie qu'il a quand il est angoissé. C'est le premier élément que je remarque, sans même réellement prêter attention à ce qu'il vient de dire. Il continue de fuir mon regard, et je n'aurais pas pu le trouver plus lâche qu'à cet instant. Tout ce qui est en train de se passer est surréaliste. Il s'approche de moi, comme s'il voulait me consoler. Instinctivement, je recule. Il est hors de question que je le laisse me toucher. Il me dégoûte et le simple fait d'imaginer son contact sur ma peau me donne la nausée.
Les larmes ne demandent qu'à ce que je les laisse couler. Mais je préfère refouler ce que je ressens. Je ne peux m'empêcher de repenser aux dernières semaines. Tout prend forme petit à petit dans mon esprit. J'essaye de refouler toutes ces pensées, mais celles-ci ne se laissent pas faire et s'amusent à envahir mon esprit. Il y a plusieurs jours de ça, j'ai appris par hasard qu'il m'avait trompé au début de notre relation. J'ai eu du mal à l'accepter, à m'en remettre mais j'ai tout de même réussi à lui pardonner. J'ai bêtement cru que depuis, ses sentiments s'étaient développés, solidifiés. Que ce qu'il y avait entre nous était plus fort que tout et que ce genre d'incident ne se reproduirait plus. Pourtant aujourd'hui, je réalise qu'il a raison, notre relation n'est plus ce qu'elle était. Tout a changé. Parfois, je ne pouvais pas m'empecher d'imaginer cette femme le toucher quand il m'embrassait. Quand il ne rentrait pas le soir, je me demandais s'il n'était pas avec une fille. Au fond de moi, je sais que ce qui est en train d'arriver était inévitable.
— Je préfère être honnête avec toi, continue-t-il en s'affairant dans le salon. Je crois que je n'ai même jamais été amoureux de toi, reprend-il avant de marquer une pause.
Ses yeux me fixent, et ce qui me fait le plus mal c'est que je perçois la sincérité dans son regard. Comme jamais je n'ai pu le voir avant. C'était notre premier et dernier instant de sincérité avant que tout s'effondre.
— J'ai essayé de toutes mes forces, Ella, mais je n'y arrive plus. Je préfère qu'on arrête là maintenant, les choses sont déjà assez difficiles. Notre histoire ne peut plus durer. J'emballe mes affaires ce soir et je pars dans la foulée. J'ai prévenu un ami et il a une place de libre chez lui pour me loger le temps que je trouve un nouvel appart.
Je ne réagis pas à ses mots, je n'arrive pas à comprendre ce qu'il se passe. C'est comme si je voyais la scène de l'extérieur, comme si je n'étais plus capable de contrôler mon corps ni mes sentiments. Evan me regarde avec insistance, peut-être dans l'attente d'une réponse, mais en voyant que je ne réagis pas, il soupire et me tourne le dos avant de quitter la pièce.
Les minutes passent et je reprends petit à petit conscience. Je pensais que le moment où je tomberais enfin serait libérateur, mais ce n'est pas le cas. Les sentiments refont surface et m'envahissent, m'empêchant de respirer normalement. Ce qu'il vient de me dire tourne en boucle dans ma tête, la douleur est insoutenable. Ses mots sont comme des rasoirs, tout mon corps me fait mal. Je vois ma relation s'écrouler devant mes yeux, sans que je puisse rien y faire.
Evan revient de notre chambre, les bras chargés de sacs. Il avait tout prévu. Cette constatation me brise un peu plus le cœur. Je n'arrive pas à bouger, ni à prononcer le moindre mot. Pourtant, au fond de moi, je lui hurle que je l'aime, que je veux qu'il reste, qu'on essaye encore. Mais une autre partie de moi, elle, me supplie de le laisser partir. Tout ce que je vois dans ses yeux n'est qu'un immense vide. J'ai l'impression qu'il ne ressent rien, je me rends compte que c'était devenu notre quotidien. Mais je ne dis rien. Tout ce qui me vient à l'esprit ne l'empêchera pas de partir. Je sens la détermination émaner de lui. C'est trop tard.