L'enquête

RAPH'

Chaque matin, c'est la même.
Pas le temps pour le petit dej'.
Pas le temps pour un café.
Pas le temps pour s'habiller.
Pas le temps pour se laver les dents.
Et toujours la même phrase. Quand elle arrive, les cheveux ébouriffés, les fringues dépareillées, et toute essoufflée.
« Oh les gars, quelqu'un m'accompagne vite chercher un café à la MDL je veux pas être là seule en retard en cours ! »
D'ailleurs suivi des mêmes réactions de ses camarades dépités, qui soupirent, tournent les talons sans lui répondre et se dirigent droit vers les salles de classe.

Si vous n'avez jamais remarquée Raph', c'est que vous êtes certainement trop occupé à baver sur ses amis.
Car certes, Lylou a été élue plus beau cul du lycée sur un compte instagram anonyme, et Léandre pécho un nombre de filles au mois certainement supérieur à sa moyenne de classe, mais Raph' vaut le coup d'œil. C'est pas pour rien qu'elle fait partie de la bande. C'est vrai qu'elle a tendance à rire un peu fort à la cantine, et à ne pas toujours être dans le courant de la mode puisqu'elle n'a jamais le temps de confectionner des tenues dignes de Pinterest le matin.
Mais Raph' est unique et authentique.

Ça matin là au lycée, tout le monde parlait de la soirée de Lylou. Elle avait 18 ans aujourd'hui. Enfin, pas tout le monde. Du point de vue de Lylou, oui, puisque pour elle le monde se résume à ses amis, ses sbires, les garçons dans son champs de mire et les quelques lycéens qui l'envient. Raph', qui avait enfin pu aller chercher un café à l'inter-cours, le sirotait gentiment en regardant la prof d'anglais avec dédain.
Son air non-chaland, les jambes croisées et la tête posée sur sa main, comme si elle risquait de tomber, lui donnaient un air impertinent.

- Lylou, par pitié, invite un mec que je peux ken. rumine-elle à sa voisine.
- Tu veux ken que des moches Raph', en plus tu vas encore perdre tes ovaires et tu vas rien faire du tout.
- Arrête, il est grave pas moche Tom !
- Si, il est dégueu.
- Et gay. surenchéri Léandre

Raph' lève les yeux au ciel. Elle finit son café cul sec et note l'intitulé de la leçon en haut de la page de son cahier. Cela faisait trente-cinq minutes que le cours avait commencé. Et le tableau était déjà rempli d'annotations.

Seize heures quinze, Raph' descend du bus. Il n'y a que ceux qui ont cours d'options qui restent en cours à cette heure là un vendredi. La journée fut longue et fatigante, mais animée par la préparation de la soirée. Lylou envoie les invitations à 17h, pour faire comme si tout le monde était un invité de dernière minute. Pour faire comme si la soirée était initialement en petit comité et que finalement tout avait dérapé.
Raph' longe le chemin boueux qui conduit à sa maison. Elle passe à côté des maisons abandonnés qui vomissent des feuilles par les fenêtres et les cheminées, contourne le lac dont personne ne connaît le nom, et traverse la nationale par le grand pont. Plus que deux cents mètres. Elle sors les clefs de son sac, les insères dans la serrure de la porte, donne un coup sec en même temps qu'elle tourne, et rentre. Seize heures trente et une. Elle monte à l'étage dans sa chambre, vide son sac de cours pour le remplir avec les deux bouteilles d'alcool cachées sous son lit. Elle prend une douche, prend le haut le plus sexy de sa garde robe, et le pantalon le plus large, pour ne pas en faire trop. Un peu d'huile dans ses cheveux bouclés, un coup de liner et de rouge à lèvres, une note de parfum et redescend aussi vite qu'elle est montée. Elle attrape un post it, écrit « je suis à l'anniv de Lylou je rentre demain matin bisou », le colle sur la table. Elle attrape un long manteau qui était accroché à la porte, enfile une écharpe, et ressort. Elle s'assoie sur les marches du perron et regarde son téléphone. Dix-sept heures deux.
Aussitôt, une clio rouge toute cabossée arrive en trombe sur le petit chemin terreux qui mène chez elle. Arrivée à son niveau, elle freine d'un coup sec. La jeune fille ouvre la portière de côté passager et monte. Le conducteur, un garçon du même âge, aux cheveux bruns bouclés, qui portait une chemise aux motifs douteux, d'une marque de sports de glisse, lui fait la bise. C'était Eliot.