Chapitre 21 : Asteropides

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VARMANTEUIL –


Le chahut que firent dès leur réveil Basile et Gale, venus dormir chez elle la veille, tira Kaya d'un sommeil qui n'en avait que le nom. Elle ne se sentait pas plus reposée que lorsqu'elle s'était couchée. Son laps d'inconscience lui faisait davantage l'effet d'un espace noir, manquant, dans le fil de sa mémoire que d'un repos réparateur.

Couchée sur le dos, elle avait la sensation de faire la planche dans une mer d'inertie. L'énergie lui manquait. Elle se passa les mains sur la figure pour essayer de ranimer ses muscles faciaux.

C'est alors qu'elle les entendit.

Les murmures.

Fracturés en échos, embrouillés les uns dans les autres, chuchotis de dizaines de voix comme étouffées par un mur d'eau. Dont certaines familières. Certaines appartenant à ses frères, elle aurait pu en jurer.

Elle plaqua le dos de sa main contre sa bouche pour contenir un hoquet d'épouvante.

Son Arété, qu'elle avait cessé d'étoffer quelques années auparavant, ne lui permettait que de déceler les mensonges dans les yeux de ses interlocuteurs et de percevoir leur état émotionnel et physique par le biais d'un contact. Elle aurait pu développer ses capacités d'esthésive bien au-delà de ces deux aptitudes si son Arété n'avait pas commencé à dérailler.

Le basculement s'était produit lorsqu'elle avait commencé à détecter les pensées. Par bribes et par flots qu'elle ne pouvait ni clarifier ni démêler. Comme si elle s'était branchée sur la fréquence de quiconque se trouvait aux alentours et que les ondes qu'ils émettaient interféraient les unes avec les autres. Elle se retrouvait donc avec ce ver d'oreille qui lui parasitait l'esprit.

Seulement il n'avait jamais été possible de déterminer si ces murmures étaient bien réels. Si le dysfonctionnement provenait de son Arété...

Ou d'elle.

Au milieu de son angoisse, Kaya songea soudain à sa colocataire, dont la grasse matinée se trouvait ruinée par le tapage que produisait les jumeaux. Vêtu de son short et débardeur de nuit, les cheveux encore en désordre, elle manqua d'être percutée par Gale quand elle sortit de sa chambre. Le garçon manœuvra de justesse pour la contourner en jappant :

— J'vais être en retaaaard ! Basou tu me laisse du chocosette !

Puis il disparut dans la salle de bain. La majorité de ses fonctions motrices basculées sur pilotage automatique, Kaya gagna la cuisine, où était attablé Basile.

— Les garçons, qu'est-ce que je vous ai dit hier ? chuchota-t-elle furieusement. Ma coloc' dort !

Bleu ! Bleu c'est mieux Sans le seul qui a dit qu'elle était en train Si tu ne Juste un sortilège Pas là.

— Nan, elle est pas là, lui indiqua son frère. Sa porte est ouverte et y a personne.

L'odeur du pain de mie grillé et de la pâte de chocolat fondue, d'habitude alléchantes, l'écœuraient. Gale revint en courant alors qu'elle se servait un verre d'eau, et se mit à geindre :

— Non, Basile est en train de finir le pot !

— Il en reste un peu, le calma Kaya en retirant le-dit pot à l'un afin de le donner à l'autre. Pourquoi tu es pressé comme ça ? Vous êtes en vacances.

— Oui mais y a l'édition collector du tome 12 de Ranimal qui sort aujourd'hui ! Tout le monde le veut, faut qu'on arrive dans les premiers !

Peu en état de supporter l'excitation de son cadet, la jeune femme se rendit dans la salle de bain et ouvrit l'armoire à pharmacie. Elle marqua une pause devant la boîte d'au-cas-où rangée au fond. Ce traitement la calmerait quelques heures, peut-être assez pour enrayer la crise qui se profilait. Or il lui faudrait rester chez elle jusqu'à ce que les effets se dissipent, ce qui ne cadrait pas avec ses plans pour la journée. Elle résolut donc de s'en tenir à sa médication quotidienne.

𝐀𝐒𝐓𝐄𝐑𝐒 | Tome 1 | LES DAMNÉS DE BRYVASOù les histoires vivent. Découvrez maintenant