Peut-être la vision que je me fais d'une femme admirablement libre, dans un grand état de réceptivité et d'éveil, en qui la volonté réalise un haut potentiel de la Nature, comme on me le reprochera sûrement, ressemble-t-elle à la concrétisation d'un homme délié dans sa sexualité amorale, dans sa fauverie acceptée, dans son atavisme d'ardeurs, foncièrement solitaire quoique sans intention de nuire – un fantasme viril ou service du mâle. Je ne veux pas dire qu'une femme meilleure serait un homme, ni même qu'un homme est meilleur qu'une femme, mais je ne sais pas de façon plus confiante et plus heureuse d'aborder la vie qu'en ayant presque constamment conscience des chaleurs de son sexe qu'on transfère partout comme une lanterne rayonnante, comme un fanal, comme un signal d'essais braves, de quêtes, de bonheur, une sorte de pavois, une égide. Tant qu'au contraire le sexe constitue à soi une honte, une vergogne, un souci, tant qu'il ne se situe pas dans la gravitation même de tout le corps au centre des attentions, tant qu'il ne dirige pas à l'entour la plénitude de l'esprit par la certitude de l'atout et de l'inaliénabilité, la pensée reste mal affermie et hésitante, soucieuse, inquiète, son intensité demeure proprement sans comparaison et restreinte, timorée, inhibée, sans étalon de ce à quoi elle peut atteindre ou du profit qu'elle peut produire comme le sexe, alors elle manque de convoitise et d'ardeur. Le corps dans sa globalité ne doit pas souffrir d'une incommodité pour qu'on le commande avec facilité, il ne doit pas s'effacer ou s'annuler même en partie, pas davantage le sexe, ni constituer un poids, une menace ou un interdit, il lui faut rappeler sa présence d'outil pratique, docile et adaptable, se rappeler comme il se définit avant tout au service efficace d'une volonté. Voilà pourquoi la conception ou l'image d'un être de puissance et de vitalité ne saurait s'imposer à moi en-dehors de la représentation d'une certaine santé et d'un certain athlétisme. Ce n'est que l'aisance corporelle qui empêche les complexes et qui permet à l'esprit de ne pas se préoccuper par exemple d'une longue marche ou d'une course brève : la pensée traverse l'action physique, elle seule semble fournir un effort, l'appareil se contente d'obéir à la volonté exactement et sans faiblir, ainsi l'esprit peut-il s'atteler à d'autres solutions sans se préoccuper de l'obéissance et de l'état d'une machine. Je crois que pour se sentir bien, il faut se sentir beau, mais au surplus, je crois que pour bien se sentir beau c'est-à-dire sans quelque première illusion qui risque d'être le commencement d'un vaste système de mensonges et de ruses, il faut se savoir fonctionnel, se le prouver et se l'attester, sain, leste, fort, véritablement capable d'agir. Une personne obèse – homme ou femme – qui se sent bien, donc se trouvant belle, dispose selon moi d'un jugement erroné sur ce qu'il convient d'aimer dans une disposition physique : or, si s'agissant déjà du corps la santé est dissociée de la beauté, quel sera le critère d'élection, beaucoup plus difficile à établir, pour un tableau, un caractère ou un raisonnement ? C'est en quoi je me figure qu'une personne saine dispose au moins d'un corps sain, c'est un préalable – et cela ne présume pas à mon sens de capacités sportives spectaculaires –, personne ayant maintenu sa forme physique dans la possibilité d'un large potentiel de réalisations pour ne pas avoir à se fabriquer, par amour propre, beaucoup d'autres paramètres à ses jugements sur la « bonne » nature des choses que la pensée que la beauté ou que le bien naît d'une efficacité issue d'un effort et d'un entretien. C'est une base acceptable, sinon fondamentale, de ne pas se fourvoyer en arguties par vanité, dès le début d'un regard qu'on pose sur soi. Il y a toujours, chez les gens laids par insuffisance et par négligence, une difformité morale principielle omniprésente : ils se voient, et, pour s'accepter, ils sont forcés d'admettre que ce qu'ils voient n'est pas ce qui est (on ne me pardonnera pas, je suppose, cette remarque dure et intempestive, n'importe) ; partant, ils prennent plus facilement l'habitude de ne considérer la réalité que selon les raisons spécieuses par lesquelles ils altèrent leur perception du réel ; pour eux, quand il s'agit de décrire c'est-à-dire de constater, il faut que la chose soit comme ils voudraient ou comme il faudrait, autrement qu'elle n'est objectivement et impitoyablement ; dès l'abord ils ne répugnent pas à se tromper mais plutôt répugnent-ils à ne pas se tromper, un vice de procédure mentale est né dans leur esprit selon lequel les objets doivent être différents de ce qu'ils sont, il faut que tout diffère d'un état et que la vérité des faits ne constitue pas un critère, et l'on ne parvient plus à se mettre d'accord avec eux sur un axiome simple et raisonnable pour initier une réflexion dialectique.