Acte 4, scène 6 : Le Règne de la Violence

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Scène 6

PROTAGORAS, DIOTIME, GLAUCON ET LES DISCIPLES

Dans une cave. Il y a des amphores de bière et de vin. Protagoras est seul et parle aux amphores.

PROTAGORAS : Que j'aime l'odeur du vin dans cette taverne. Chopines, je vous adore ! Amphores, venez à moi que je vous ingurgite ! Arômes, vous me chatouillez le corps ! (Il prend une chope et se sert directement à l'amphore. Il boit cul sec, pousse un râle de contentement. Puis, il se dirige vers le bout de la table, pose ses mains sur le devant et regarde sereinement la trappe de l'entrée. Alors, des hommes descendent et s'assoient autour de cette table. Protagoras reste debout et droit, il murmure en aparté.) Ah, voici les membres de la résistance qui serviront mon objectif. Que j'aime revenir sur le devant de la scène ...

DIOTIME : (Elle entre en dernière et s'installe à l'autre bout de la table, en face de Protagoras, reste debout et s'appuie sur le dossier de sa chaise.) Danaïdes (1), venez à moi. Érinyes, je suis votre messagère !

PROTAGORAS : (Il a un petit rictus devant Diotime.) Bien, commençons. (Il s'assoit.)

DIOTIME : (Elle fait de même. Tous les autres l'imitent.) Nous ne t'avons plus vu depuis vingt ans, Protagoras. J'ai espéré que tu serais mort.

PROTAGORAS : Je suis flatté d'être le seul homme qui te ramène parmi les vivants, toi, la prêtresse des morts !

DIOTIME : Non ! D'Éros.

PROTAGORAS : Oui, c'est bien ce que je dis. (Elle est piquée au vif.) Mais assez de courtoisies. Nous pourrions nous en faire toute la soirée mais nous devons faire tomber un régime.

DIOTIME : (Elle se ressaisit). Comment comptes-tu t'y prendre ?

PROTAGORAS : Il y a vingt ans, j'étais insouciant et peu attentif au changement. Maintenant, je sais que tout coule. Aucun gouvernement ne demeure. Je me suis baigné dans le fleuve Léthé (2) et j'ai oublié toutes mes anciennes croyances. Par cet oubli, j'ai renoué avec l'enfant que je suis et j'ai retrouvé mon jouet favori.

DIOTIME : Qu'est-ce donc ?

PROTAGORAS : Le monde !

DIOTIME : Oui, bon ... viens en au fait, Protagoras.

PROTAGORAS : À l'époque, je regardais impassiblement les choses défiler, maintenant, je suis au cœur du changement. (Temps de pause puis il reprend.) J'ai été esclave après mon bannissement d'Athènes par Socrate.

DIOTIME : Tu veux dire que tu as fui plus vite qu'Hermès, Protagoras ?

PROTAGORAS : (Il ignore ses paroles.) J'ai été mis aux fers par des mercenaires du désert ! Puis, j'ai été vendu à des magistrats d'Alexandrie où je me suis perdu dans la plus grande bibliothèque du monde.

DIOTIME : Nous apprécions tes travaux d'Hercule. La lecture ! Que ça a dû être difficile pour toi !

PROTAGORAS : (Il ignore ses paroles.) J'ai retrouvé mon chemin dans les récits des grands pour servir mes nouveaux clients. Faire taire mon orgueil et ma fierté ont été les plus durs obstacles à mon accomplissement. (Diotime sourit.) Mais à travers ma lecture de L'Art de la guerre de Sun Tzu et du travail de Thucydide sur la recherche des causes des grands évènements, j'ai compris que l'Histoire n'était qu'un éternel recommencement. Il faut choisir : se reposer ou être libre. J'ai donc incorporé en mon âme et en acte mon apprentissage des lettres, pour que mon action soit profitable aux maîtres de mon corps.

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