La pièce, assez vaste et dépourvue de fenêtres, était carrelée de blanc sur tout son sol et sur trois de ses murs. Elle se trouvait plongée dans la pénombre, le froid et le silence. La quasi absence de mobilier, en dehors de la table d'examen, de deux chariots remplis d'ustensiles pointus ou tranchants –voire les deux – et du dernier mur quadrillé de petites portes chromées, conférait à ce lieu un caractère aseptisé et un tantinet lugubre, voire glaçant, ce qui était plutôt raccord avec la température de l'endroit. Seul un tableau, reproduction de l'une des œuvres majeures du maître néerlandais du clair-obscur, la fameuse « Leçon d'anatomie du Docteur Tulp », venait apporter une petite touche de décoration à cet endroit sépulcral, tout en ayant le mérite de nous mettre immédiatement dans l'ambiance.
Le moindre petit bruit ricochait et s'amplifiait à l'envi, sans rencontrer aucun obstacle. Le tintement métallique des instruments au contact du plateau produisait l'effet d'une cymbale suraiguë. Au milieu de cette salle trônait une grande table, plutôt haute pour la stature assez trapue de l'homme qui s'y affairait. Perçant l'obscurité, un unique plafonnier éclairait la scène ; sa lumière intense, d'une blancheur blafarde et artificielle, se reflétait sur les murs de faïence ainsi que les façades des box, donnant à la pièce une atmosphère d'autant plus sinistre, voire macabre.
L'homme, tout en nouant son tablier, se trémoussait joyeusement en écoutant une de ses chansons fétiches, dont les notes emplissaient l'espace. Il fredonnait le refrain avec un entrain communicatif.
« Non, je ne veux plus jamais travailleeeer, plutôt crever ! »
« Naaaaaan ! J'veux pas creveeeeer !! » glapit une deuxième voix, étranglée, avec force trémolos.
L'écho répéta cette complainte dans la pièce, accompagnée de sanglots déchirants démultipliés. Le médecin, méticuleux avec une légère tendance à la maniaquerie, avait terminé d'aligner ses instruments sur le plateau du chariot de chirurgie. Il se dirigea vers le petit cagibi attenant où gisait un homme, nu comme un ver, grelottant. Celui-là même qui hurlait à pleins poumons l'instant d'avant.
Alastair l'empoigna puis le souleva d'une seule main, comme il l'aurait fait avec un vulgaire sac de pommes de terre, avant de le flanquer sur son épaule pour le transporter jusqu'à sa table d'examen. Tout ceci sans avoir l'air de faire un quelconque effort. L'inconnu gémissait toujours, la lèvre tremblante et l'œil humide, mais ne se débattait plus. L'espoir semblait l'avoir quitté pour de bon.
Alastair, concentré, l'immobilisa avec habileté par les extrémités des quatre membres, à l'aide de solides liens reliés aux angles de la table, et une peur sans commune mesure. L'homme semblait toutefois toujours capable d'hurler à intervalles réguliers, aussi fort qu'un cochon qu'on égorgeait, tout en pleurant littéralement toutes les larmes de son petit corps bedonnant parcouru de spasmes. Le médecin l'observa un moment : cela lui faisait penser à de la jelly, ce qui le fit sourire d'un air gourmand, cela lui aurait presque donné envie d'y planter sa paille dont il ne se séparait jamais, sans compter que la chanson de ce bon vieux Philippe Katerine ne contribuait pas à calmer son appétit, bien que ce n'était pas la saison pour déguster des fruits exotiques.
Il vérifia qu'il était solidement arrimé, mais n'avait pas jugé utile de le bâillonner, puisqu'à cette heure tardive – ou matinale, selon le point de vue – personne ne risquait de l'entendre : l'institut médico-légal était désert, il n'y avait pas un chat pour les interrompre. Pour sa part, les cris humains étaient une musique douce à ses oreilles. Toutefois, par acquit de conscience, il veilla à ce que l'unique porte d'accès à la salle d'examen soit bien verrouillée avant de commencer. Il était temps de s'y mettre.
« Nan mais laissez-moiii... »
« Aaaaaahh !!! »
« ... manger ma banane, nan mais laissez-moiii... »
VOUS LISEZ
Gentlemen bouchers
ParanormalUne histoire sanglante, au croisement de Sherlock Holmes et Jack l'Eventreur, dans un Londres de l'époque victorienne.