Délivrons le Mal du Chat

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Jean-Eude et Jean-Yves étaient deux amis de longue date, vivant depuis un peu plus de cinq ans dans la même maison de retraite. Leurs chambres étaient face à face, leur permettant de rester toujours proches l'un de l'autre, et ce, même s'ils avaient quelques différents de temps à autre. 

En effet, Jean-Eude avait la fâcheuse tendance à vouloir faire des "pranks comme disent les jeunes" (comme cacher le dentier de ses congénères ou encore essayer de convaincre tout le monde de participer à la fameuse course de fauteuils roulants hebdomadaire) qui avaient le don d'énerver Jean-Yves. 

Mais celui-ci n'était pas tout blanc non plus ; il se plaignait sans cesse de ses enfants l'ayant renié et placé en maison de retraite après avoir prit tout son argent pour déménager dans un pays communiste. C'est pour ça que Jean-Eude l'avait rejoint, parce qu'entre vieux amis, il est important de se soutenir, surtout quand on sait qu'il ne nous reste à peine que quelques mois à vivre.

Depuis quelques mois, quand les deux octogénaires se retrouvaient pour leur pose tisane post meridiem, un petit chat noir se joignait à eux. Ils y étaient très attachés ; cela leur faisait, pour une fois, un ami qui pouvait vivre plus de 10 mois ! 

Mais un jour, alors que Jean-Eude et Jean-Yves étaient à leur banc habituel, tasse à la main, et un petit biscuit pour le chat qu'ils avaient décidé d'appeler Framboisier, il ne fit pas son apparition. Ils décidèrent alors de partir tous les deux à sa recherche ; peut-être était-il en danger, ou même mort ? Après avoir prévenu leur infirmière, nos deux vieux amis se lancèrent dans cette quête des plus romanesques. Ils fouillèrent donc dans les buissons avec leurs petites mains fripées, sans résultat. 

Ils redoublèrent donc d'efforts, mais l'envie d'abandonner fit son apparition quand leur mal de dos commençait à revenir. Mais, tout à coup, ils entendirent un rire des plus machiavéliques derrière eux, les obligeant à renoncer à leur chasse au chat.

Lorsqu'ils se retournèrent, c'est avec effroi qu'ils découvrirent Framboisier virevoltant dans les airs, les yeux retournés.


« MOUAHAHAHAHAH, miaula le chat noir tandis que ses pattes se plièrent dans des sens peu naturels.

- Framboisier, mon matou adoré, s'exclama Jean Yves, s'il te plaît redescend, tu es en danger là-haut.

- Oui, il a raison, joli minou ! Viens dans mes bras ! »

De toute évidence, le chat était possédé par une force inconnue, une force maléfique qui prenait le contrôle de son corps et de sa jolie voix. Son doux pelage était plein de boue et une odeur nauséabonde émanait de lui, comme s'il était resté allongé des heures dans une flaque de vase. Ou bien comme si ses organes étaient en train de pourrir.

Framboisier tournoyait sur lui-même entre les molécules de diazote et de dioxygène, ses yeux à présent entièrement blancs reflétant les rayons du soleil. 

Le duo d'amis s'inquiétait pour leur matou d'amour ; il était comme leur enfant, un être qui les unissait. En même temps, cela faisait depuis presque toujours que Jean-Eude soutenait Jean-Yves (ce qui, par le passé, était un peu moins le cas pour Jean-Yves, il préférait quand même son argent. Mais maintenant qu'il n'en a plus, il préfère Jean-Eude), même dans ses moments les plus difficiles, et il n'y avait jamais vraiment eu de "lien matériel" entre eux, quelque chose qui aurait pu permettre de montrer au monde entier à quel point ils étaient (et sont) proches l'un de l'autre. A ce moment-là, on pouvait voir comment ils se regardaient. 

La peur qu'ils ressentaient pour Framboisier avait renforcé leur relation d'une manière inimaginable. Mais ils étaient sur le point de le perdre, et il en était hors de question ; jamais ils ne laisseraient cette situation se terminer de manière cauchemardesque.

« Jean-Eude, vite ! Un escabeau !

- Mais je ne peux plus courir avec mon coeur... »

Jean-Yves, ne se sentant pas très intelligent, frappa son front de sa paume avant de crier à l'aide. Les deux vieils hommes se mirent donc à hurler, en espérant qu'une âme charitable vienne aider le petit chat de leur cœur.

« JAMAIS VOUS N'ARRIVEREZ À M'ATTEINDRE ! » miaula Framboisier.

Les petits vieux se sentaient outrés de cet affront. Ce n'était pas parce qu'ils marchaient les articulations grinçantes qu'ils ne pouvaient pas faire tout ce qu'ils voulaient ! Alors si, ils allaient y arriver. 

Jean-Yves recula de trois pas, et se mit à courir vers leur chat des Enfers. Il s'élança dans les airs quand des ailes blanches apparurent dans son dos, et c'était comme s'il renaissait. C'est ce qu'il était depuis tout ce temps ? 

La lumière blanche qui émanait de lui aveugla Jean-Eude, qui était tout de même en admiration devant cet ange sorti tout droit d'un conte de fées. Et Jean-Yves savait à quel point il aimait les comptes de fées. Il l'avait déjà surpris portant des ailes en plastique dans le couloir de la maison de retraite, en sautillant de joie. Il avait toujours rêvé de devenir une fée.

Un combat épique se préparait. Le démon qui logeait dans Framboisier, contre l'ange Jean-Yves.

« Au nom de la puissance divine, je vous arrête, vous, démon possédant le corps de mon matou d'amour ! Délivrons le mal du chat ! » ordonna le vieil homme d'un ton autoritaire, et ouvrant les bras tandis qu'il vola un peu plus haut.

Le minou se mit à se tordre de douleur, comme si on le brûlait vif. Il poussait des cris et Jean-Eude se sentait un peu mal ; ce n'est pas parce que le démon devait s'en aller qu'il fallait tant faire souffrir leur framboisounet chéri... en plus, son ami de toujours lui avait caché qu'il était un employé des cieux. Il y avait de quoi être vexé. 

Mais pourtant, quand Framboisier se mit à vomir une substance visqueuse noire, et tomba au sol doucement grâce aux pouvoirs divins de Jean-Yves, tout le monde était soulagé. Leur précieux était sauf.

« Mon chat ! Enfin, tu es de nouveau toi-même ! » dit Jean-Eude, les yeux larmoyants.

Le vieil ange reprit son apparence habituelle lorsqu'il atteint le sol. C'était la première fois qu'une telle transformation lui arrivait. Peut-être était-ce dû au mélange de ses sentiments intenses pour Framboisier, et ceux pour Jean-Eude ? 

Soulagés, les deux octogénaires se prirent dans les bras, ignorant qu'ils avaient gagné leur place au paradis.

THE END

Délivrons le Mal du ChatOù les histoires vivent. Découvrez maintenant