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Le lendemain, j'arrivai au bureau avec trente minutes d'avance, histoire d'être bien sûre que mon inconnu ne serait pas dans l'ascenseur. J'étais plutôt nerveuse à l'idée que quelqu'un ait pu être témoin de mes frasques de la veille et s'autorise un commentaire. Aussi, l'indifférence générale habituelle me soulagea. Il y avait peu de monde dans le bâtiment à cette heure. Cependant, je me ruai dans mon refuge pour éviter toute rencontre avec certains yeux verts.

J'avais passé l'essentiel de ma soirée et de ma nuit à essayer de décider si je devais ou non retourner bosser. L'imprudence et la sottise sans nom de mes actes m'avaient hantée jusqu'au matin et amenée à douter de ma raison. Ce n'était pas moi! Jamais je ne m'étais conduite de cette façon. A mes yeux, une libido en manque n'expliquait pas tout.

Quelle alchimie étrange et incontrôlable ce type déclenchait-il en moi? Quel don possédait-il pour parvenir à révéler ainsi une facette de ma personnalité que j'ignorais?

Au petit matin, j'avais commencé à chercher un poste ailleurs sur le Net, de quoi rebondir au cas où ma situation actuelle tournerait au vinaigre. Malheureusement, le marché du travail était toujours aussi tendu. La moitié raisonnable de mon cerveau exigeait que je démissionne de mon emploi actuel, l'autre - logique - avançait que j'avais besoin de mon salaire. Le loyer de mon minuscule studio allait arriver à échéance, et je n'avais aucun autre moyen de survivre pour le moment, à moins d'opter pour une existence de sans-abri.

"Lucy, tu es tombée bien bas!"

Une fois installé à mon bureau, je m'attelai à des tâches ne réclamant pas l'usage de l'ordinateur, car je ne tenais pas à ce que mes chefs découvrent que j'étais venue d'aussi bonne heure. Mes collègues arrivèrent les uns après les autres, jacassant en passant devant mon réduit. J'y restai sans bouger de toute la journée, heureuse - une fois n'est pas coutume - d'être transparente. Aucun événement particulier ne dérangea ma routine jusqu'à ce que, vers 16 heures, ma supérieure passe la tête par-dessus une des parois de mon recoin.

- Veuillez me suivre, s'il vous plaît, Mlle Delacourt.

Cette intrusion m'étonna autant qu'elle m'inquiéta. Je croisais la femme presque tous les jours, mais, après mon entretien d'embauche, elle avait totalement ignoré ma présence dans son service. Qu'elle choisisse ce jour-là pour me parler provoqua en moi une sorte de vertige, tandis qu'un nœud se formait au creux de mon ventre. Son ton sec ayant laissé entendre qu'il n'était pas question d'ergoter, je marmonnai un vague acquiescement puis, après une petite pause destinée à me ressaisir, je me dépêchai de lui emboîter le pas.

Mais, au lieu de s'arrêter à la porte de son propre bureau, elle quitta le service pour gagner à grandes enjambées le palier. Je la suivis en silence, n'osant l'interroger par crainte d'apprendre que tout l'immeuble était désormais au courant de mes sexcapades de la veille. Je ne voyais, en effet, aucune autre raison à cette convocation aussi soudaine qu'inhabituelle et, à mon avis, les instances supérieures n'auraient pas pris la peine de m'entraîner hors de mon service si elles s'étaient apprêtées à me flanquer tout bonnement à la porte.

C'est en silence que l'ascenseur nous hissa quatre étages plus haut. Mon appréhension grandissait à mesure que nous approchions. Ma patronne ne desserra pas les lèvres et l'expression de son visage restait indéchiffrable. Non que je me risque vraiment à la lire, trop effrayée à l'idée de ce que je pourrais y découvrir. Quand les portes s'ouvrirent, je réalisai que je m'apprêtais à entrer dans un monde entièrement différent du mien. Fini, les couloirs étroits et nus. Nous étions dans un hall très vaste, aux parois lambrissées de bois sombre. A l'opposé de la pièce d'accueil, le nom de la société, Hamilton, s'étalait en larges lettres dorées. Au-delà, un grand comptoir occupait un espace ouvert sur lequel donnaient les portes de bureaux et deux immenses salles de conférence vitrées. Tout ici respirait une richesse ancienne, le bois et l'or mêlés à des éclairages et à des tableaux contemporains.

tout CE QU'IL VOUDRA        l'intégraleOù les histoires vivent. Découvrez maintenant