15.5. Vide abyssal

19 2 22
                                    


Solius reste coi, il arpente visuellement les murs sans défaut, le sol dépouillé, vide et maintenant ses yeux plissés d'incompréhension et malmenés par la clarté aveuglante s'attardent sur Lenny, un doigt perdu dans le vide, dirigé vers un des multiples coussins qu'il possédait. Il en avait beaucoup trop et plus ça allait, plus il s'abandonnait à un sommeil qu'il aurait souhaité éternel.


- J'étais un nourrisson encore, au beau milieu de la nuit, un géant s'est penché au dessus de mon berceau, de là, je me souviens simplement m'être étouffé.


Ses poings ne s'étaient même pas crispés quand un poids s'était abattu contre son nez, bouchant la moindre entrée d'air, il avait impuissamment constaté sa respiration se restreindre, devenir un tantinet sifflante puis quand la pression contre son visage eût atteint son paroxysme, il s'était simplement arrêté de vivre, l'air devenu impénétrable, son corps inerte. Il avait senti le froid l'envahir dans un premier temps puis un amour incroyable lui remplir les poumons, c'était tout l'oxygène dont il avait eu besoin. 


- Qu- Pardon ?


Ses yeux s'écarquillent d'horreur, par réflexe, il fait un pas en arrière. Lenny penche la tête sur le côté, il comprend que ça puisse paraître abrupt une telle révélation faite sur un ton aussi désinvolte, il comprend mais ne partage pas le sentiment, pas plus que ça. Ce qui l'intrigue plutôt est cette étrange question qui a franchi les lèvres du récent réincarné, il avait donc assimilé les questions récurrentes qu'on se posait mutuellement lors d'une rencontre et ce en un après midi, ça avait dû bavasser beaucoup lors de la crémaillère. Il avait espionné les allers et venues chez lui, guetté la moindre odeur suspecte de poussière et de café qui aurait pu se répandre dans l'air.


- Pourquoi tu veux savoir ça tout à coup ? Je t'intéresse maintenant ?


Il fait mine d'avoir trouvé Solius indiscret, en réalité, il n'en a cure, sa mort n'a jamais été un secret.


- Oh... Excuse-moi, c'était peut être un peu déplacé...

- Mais toi Solius, Solius le nouveau voisin, Solius le fraîchement réincarné...


Il fait quelques pas vers lui, détachant chaque syllabe d'une voix grave, vibrante. Ses iris sans pupille véritable examinent ceux bruns du jeune homme.


- Quelque chose me dit que tu n'as pas eu une mort classique, je me trompe ?

- Eh bien....


Il ne sait plus comment réagir alors ses yeux se dérobent, sa mâchoire se crispe.


- J'ai été... (il murmure, plus bas que jamais) renversé par un animal.

- Mais encore ? Ça n'était pas un buffle, si ?

- Non, une chèvre... 


Le rouge lui monte aux joues, il serre les poings, profondément mal à l'aise. Lenny a une furieuse envie de rire, ça lui fait vibrer les côtes et son estomac est assailli de pulsations presque incontrôlables. Ça n'a rien d'une moquerie prévisible, il ne trouve pas tant le motif de mort risible, au contraire, il la trouve incroyable, fantastique. 

Qui l'eût cru qu'un jour, une grande chèvre me renverserait ?Où les histoires vivent. Découvrez maintenant