Chapitre 1

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L'hiver 1691 fut rude. Nous étions début décembre et les rues demeuraient désertes tant le froid régissait la vie des habitants de Salem. Les femmes restaient à la maison, les hommes, pour les plus riches, imitaient leurs épouses et les enfants se voyaient contraints de rester enfermés dans les maisons.

Je ne fus pas une exception à la règle. Comme tous les matins après que ma gouvernante, Mrs. Tarkov, m'ait fait vivre le pire des cauchemars en m'habillant de la tête aux pieds de dentelle, de nœuds et de blanc nacré, je me rendais dans mon antre, mon coin de paradis : ma bibliothèque. On y trouvait toutes sortes de livres, du plus ancien au plus moderne. Les étagères montaient du sol au plafond et étaient débordantes d'ouvrages que j'avais accumulés au fil des années. Lorsque je rentrais dans cette pièce, l'odeur des livres m'enivrait et me rendait aussi nostalgique qu'heureuse. La vue de ces étagères en bois faisait naître en moi un bonheur incommensurable et la sensation que me procurait le papier rêche sur mes doigts me remplissait, au contraire, d'une douceur immense. Ma lecture du moment, un livre sur la navigation, me prenait toutes mes journées. Je m'avançais vers le petit salon que le décorateur personnel de Père avait confectionné selon ses envies – en d'autres termes, à la dernière des modes – et je m'installais sur le sofa en velours vert émeraude qu'il avait acquis tout récemment. D'un geste passionné, j'ouvris mon livre à la page que j'avais cornée et continuais ma lecture sur les différents navires conçus depuis la découverte de l'Amérique aux États-Unis.

Plongée dans mon exploration littéraire du monde, j'avais à peine aperçu la femme qui s'était cachée, à l'opposé de moi, derrière les étagères et ses sanglots étouffés me firent sursauter. Je relevais la tête en fronçant doucement les sourcils puis je posais délicatement mon livre sur la table basse en noyer. Je m'approchais sans faire de bruit, avec l'agilité d'une gazelle, pour ne pas l'effrayer. Je ne vis pas tout de suite son visage qui était caché par l'ombre de la pièce, mais plus je m'avançais, et plus ses cheveux, sa façon de se tenir et ses accoutrements me paraissaient familiers. A peine fus-je arrivée à sa hauteur qu'elle prononça quelques mots.

Vous devez m'aider... souffla-t-elle entre deux sanglots.


Je restai immobile quelques instants. J'étais sous le choc.

M...Mrs. Parris ? arrivais-je à articuler tant bien que mal.

Katerina... prononça-t-elle en relevant la tête vers moi.

Que vous est-il arrivé, Elizabeth ?

C'est un peu confus pour l'instant...mais je... je ne sais plus...


La femme baissa les yeux, une main posée sur son ventre.

Votre bébé aussi est... ?

Non... enfin, je ne crois pas... je ne me souviens plus...


Mrs. Parris laissa échapper un soupir.

Je n'arrive pas à me rappeler... elle commençait à faire les cent pas. Je... je ne sais plus ce qui s'est passé, ni comment je suis morte...Mais...mon enfant...je crois qu'il est toujours en vie...


La revenante s'agitait dans tous les sens.

Oh Katerina...


Je tentais de m'approcher d'elle pour l'apaiser lorsque j'entendis des pas provenant de l'extérieur de la bibliothèque. Je m'approchai rapidement de l'étagère la plus proche de moi, au même moment la porte s'ouvrit brusquement.

L'AthenaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant