La faim

190 19 3
                                    

J'ai faim. Trop faim pour que ce soit sécuritaire pour mes proies. Mes mains gantées griffent le béton du mur derrière moi. Mes yeux se ferment d'eux-mêmes pour apprécier l'odeur de ma future proie. Mon odorat surdéveloppé repère un parfum alléchant au summum. Mes paupières se relèvent et mes iris fixent ma proie. Un jeune homme. Bien. Ils se débattent toujours avec vigueur, cela rend le sang meilleur. Celui sur lequel j'ai jeté mon dévolu n'a rien d'un dieu grec, mais n'est pas un laideron. Cheveux foncés artistiquement décoiffés à la mode passagère, yeux de la même teinte couverts par de longs cils, peau blanche, mais pas autant que la mienne, tête couverte par un bonnet, mains gantées pour contrer le froid tenant des manuels et ce qui ressemblait à un agenda, manteau d'hiver non boutonné. Il fera l'affaire pour un repas, d'autant plus que le parfum bon marché dont il s'était couvert ne dissimulait en rien son odeur si alléchante pour un prédateur comme moi.

Revenant de ma contemplation inutile (ce n'est que de la nourriture après tout), je me prépare pour la technique de base. Il est seul, ce sera plus facile. Je calculais l'angle et la seconde à lesquelles il faudrait que je sorte de ma ruelle pour le percuter de plein fouet. Ses choses voleront dans les airs. Je m'excuserai, je ramasserai ses affaires, je me présenterai avec un nom inventé. Ensuite, je n'aurai qu'à user de ma beauté pour l'emmener dans la ruelle que je viendrai de quitter et je me nourrirai. Voilà, programme établi.

Humant un bon coup une seconde fois, je perçois pour la première fois la touche du miel dans son odeur. Il sent aussi le melon d'eau, avec une pincée de parfum pour homme. Un délice pour une chasseuse comme moi.

La liste de mes proies s'allongent. En mes six siècles d'existence, j'ai peut-être tué l'équivalent d'un petit village. Aucune proie ne m'a jamais échappée. Je plante mes crocs dans les gorges effilées des jeunes filles comme dans celles des vieillards. J'ai une sacrée réputation parmi ceux de mon espèce. Je suis, selon eux, une sadique qui ne pense qu'au sang. Pas faux.

Je m'approche de l'issue de la ruelle et certains passants me virent, sans toutefois déranger ma chasse. Tous les hommes, mêmes ceux qui étaient au bras d'une femme, ne pouvaient détacher les yeux de ce chefs-d'œuvre qu'était mon corps. Je portais une robe juste un peu trop légère pour la saison pour une humaine et le seul vêtement prévu pour l'extérieur était mes gants pour ne pas laisser d'ADN sur ma proie.

Le voici qui se pointe. Sortant comme prévu de ma ruelle, je le percute de plein fouet. M'excusant maintes et maintes fois, je m'accroupis pour ramasser le carnet et les manuels scolaires. Tandis que je lui tends ses livres, je sens son regard parcourir ce corps sublime qu'était le mien. Parfait.
-Je m'appelle Alyson, dis-je au hasard.

Je lui tends la main. Il la prit entre les siennes et l'embrassa. Avoir été humaine, j'aurais probablement été charmée. À la place, je focalise sur sa gorge.
-Thomas, dit-il en lâchant ma main.

Laissant ma beauté faire le travail, je l'invite du regard à me rejoindre dans la ruelle. Il me rejoint en me reluquant. Je me dessine un faux sourire charmeur et lui fais signe de me rejoindre. Il m'embrasse à pleine bouche tandis que je ne songe qu'à la proximité de sa gorge. Il laisse ses mains fourrager dans mes cheveux dorés tandis que je fixe sa veine bleue. Incapable de me contrôler, je perds mon self-control et le plaque contre le mur à mon tour.

Je plante mes crocs douloureux dans cette gorge qui me faisait fantasmer. Cette chère proie laisse échapper un gémissement étouffé par les bruits de succion créés par mes canines. Je bois, je me délecte, je me régale, j'engloutis tout jusqu'à la dernière goute, jusqu'au dernier souffle, jusqu'au dernier mouvement.

Relâchant enfin le corps vide de sang, je le laisse tomber par terre sans m'en soucier davantage. Les autorités l'apercevront bien assez vite. Ma soif enfin étanchée, je m'éloigne sur mes talons hauts.

Dernière gorgéeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant