CHAPITRE 7 - Alexus

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Les heures qui passent en se ressemblant, insipides et ridicules. Le mouvement incessant du véhicule à cause de l'inégalité de la route. L'impatience qui monte petit à petit.

Cela faisait déjà quelques jours qu'Alexus et sa suite étaient partis pour Lakeshire. Le prince était resté dans sa calèche tout du long. Il était trop agacé par cette mission pour faire quoi que ce soit pendant le trajet. Parler à quelqu'un était décidément une très mauvaise idée, il risquerait de coller son poing dans la tête de son interlocuteur. Il détestait ce côté-ci de lui. Il était impulsif, susceptible et son activité principale consistait à détester les autres gens, le savait et savait qu'il était plus sûr de faire des efforts pour s'en défaire, mais c'était plus fort que lui. Au moins, au fil des années, il avait appris à connaître ses limites et à se replier aussitôt pour ruminer dans son coin plutôt que de cogner la première personne qui aurait le malheur de croiser sa route.

Le cocher fit une halte, et le tas de véhicules freina brusquement. Alexus rejeta la tête en arrière pour soupirer et lever les yeux au ciel. Quelle bande de fainéants... Il jeta quand même un coup d'œil à l'extérieur pour constater que lui et ses serviteurs se trouvaient sur un chemin caillouteux et poussiéreux, à l'orée d'une forêt – ils venaient sans doute de la traverser. Une petite troupe descendait des chevaux qui les transportaient pour faire quelques pas dans l'herbe et s'étirer. Cela ne dura cependant pas longtemps : la commandante de la troupe, qui était aussi l'une des soldates royales, indiqua à tout ce petit monde de continuer le chemin après seulement quelques minutes de pause.

— Allez, tout le monde ! Un peu de nerf ! Cette pause est la dernière avant Lakeshire. Reprenons la route, cela nous fera perdre moins de temps, et vous pourrez vous reposer là-bas. Allez, c'est parti ! lança-t-elle au petit groupe de sa voix inflexible et haut perché.

Intrigué de voir la réaction de ses accompagnants, Alexus tendit l'oreille. Pourtant, les ronchonnements tant attendus ne vinrent pas. Le Dauphin n'aurait pas été contre un remontage de bretelles en règle, cela lui aurait fait gagner (ou perdre, c'était selon) du temps et lui aurait offert une distraction plus que bienvenue pendant ce trajet monotone, mais les soldats avaient appris à obéir à leur cheffe. Personne ne souffla mot, et chacun remonta sur son canasson sans laisser paraître aucune émotion.

Le jeune héritier du trône eut cependant une moue amusée face à ce comportement : il s'était déjà rendu dans des tavernes fréquentées par ces mêmes soldats, incognito, et avait pu les voir lorsqu'ils n'étaient pas en service et soumis aux ordres de la commandante. Sobres, il se permettaient déjà des remarques désagréables sur leurs collègues ou leurs supérieurs, mais il suffisait de leur offrir du vin ou de la bière pour que leurs dernières barrières tombent, que les insultes et les plaintes fusent, que les blagues grivoises fassent leur entrée, et que les remarquent viennent concerner la famille royale. L'alcool, disait-on, déliait les langues, pouvait faire oublier ou encore donner du courage. Ce dernier point n'était pas tout à fait exact : l'alcool rendait imprudent et stupide. Il révélait le démon intérieur d'une personne, et c'était le plus souvent bien pitoyable à voir. Les gens n'étaient bien souvent au fond d'eux que de viles langues de vipère.

La calèche, après quelques minutes d'attente, se remit à rouler, secouant Alexus au gré des cahots de la route. Ils arriveraient dans la capitale dans quelques heures. Il était temps qu'il jette un coup d'œil plus approfondi aux documents que lui avait remis son paternel.

Il n'eut même pas besoin de lire une demi-page pour se rendre compte de la supercherie. Bien évidemment, le roi avait voulu envoyer un message fort à E'kald en missionnant un membre de la famille royale de la réalisation de ce marché, mais il n'avait pas voulu s'en charger lui-même. Et pour cause ! Les termes du contrat étaient honteux. N'importe quel benêt illettré aurait pu y lire clairement l'arnaque. L'immense majorité des bénéfices allaient à la capitale – et par capitale, Alexus comprenait à juste titre palais royal –, et le tableau des prévisions ne prenait même pas la peine de masquer ou d'atténuer l'appauvrissement de Lakeshire.

La FaçonneuseOù les histoires vivent. Découvrez maintenant